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ceux qu’on entretient à Pétersbourg qu’un accord verbal a été passé entre les deux pays. Il allait être consacré par écrit, lorsque l’ambassadeur Mouravief expira.

L’annexion de la Bosnie froissa la nation russe (beaucoup plus, je le répète, que les dirigeants russes) dans sa traditionnelle affection pour les Slaves du Sud. Elle lui sembla une atteinte, sinon à ses espérances lointaines, du moins à cette fraternité un peu vague, qui fait explosion et qui s’épanche en toutes les grandes circonstances. L’annexion de la Bosnie froissa la nation italienne dans ses espoirs immédiats, dans son légitime sentiment de l’expansion commerciale nécessaire. Voisine de l’Albanie et du Monténégro, dont le golfe adriatique la rapproche (plutôt qu’il ne crée une séparation), elle avait fait le rêve de créer, dans les Balkans, un grand marché pour ses produits. Ses échanges s’accroissent sans relâche, 3 .850 millions en 1905 contre 3.100 millions en 1901, mais son industrie chemine plus vite encore, et, pour elle comme pour l’Autriche, se pose le problème angoissant des débouchés. Déjà lorsque M. d’Æhrenthal lança l’idée du chemin de fer du Sandjak, qui assurait la pénétration austro-hongroise vers Salonique, elle épousa avec joie la cause de la transversale Danube-Adriatique, proposée par M. Tcharykof, l’adjoint,l’adversaire et peut-être le successeur de M. Isvolski. La mainmise austro-hongroise sur la Bosnie-Herzégovine est un coup terrible à ses ambitions ; et voilà pourquoi, comme la Russie, elle insistera en faveur des compensations serbes et monténégrines ; voilà pourquoi elle ne peut plus se contenter du statu quo établi par le coup de force du 5 octobre, et comment ses vieilles inimitiés pour les Austro-Hongrois se sont réveillées avec fracas. La question balkanique prime désormais celle du Trentin et de Trieste. L’alliance italo-slave, préparée de longue date, apparaît comme la conséquence la plus significative des événements récents ; et à ceux qui répètent : l’annexion de la Bosnie n’aurait point dû soulever tant d’émoi, puisque les troupes de François-Joseph occupèrent ces provinces durant trente années, nous riposterons : pourquoi alors François-Joseph,dans sa vieillesse avancée, a-t-il voulu modifier la condition politique des Bosniaques et des Herzégoviniens ? C’est moins l’acte en lui-même qui a engendré les protestations et les colères, que la méthode diplomatique dont il est la caractéristique saisissante et précise.