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Silence toujours. Puis, le plus ancien des voleurs, abaissant son regard de la tête jusqu’aux pieds tassés de la statue, a dit :

— Cela manque de proportions.

Et ses complices et lui se détournent et s’en vont. Ils n’ont rien aperçu d’autre.

Alors l’Empereur s’agite. Il déclame, comme on chantait autrefois, des invectives. Il accuse d’abord, afin de jouir du châtiment.

Eux, ne l’entendent pas, et, marchant, disent entre eux :

— C’est gênant à emporter cette petite chose.

— Et puis, qu’est-ce qu’on en fera chez nous ?

— Le bois n’est pas beau.

— Ce sera un petit souvenir de cœur. On le mettra dans la chambre de Caroline près de la pendule.

Les infâmes ! Je vais me jeter sur eux ; leur apprendre à coups de poing ce que les ânes eux-mêmes…Je vais leur crier la Présence ! Mais Lui se dresse tout près d’eux et… j’ai manqué aux convenances en désirant m’interposer.

Il agite ses vastes manches. Il va les tuer, simplement, de toute sa majesté : il a fait signe des deux mains…

Hélas ! c’est un demi-vivant, ni âme ni cadavre… Je n’ai pas entendu le coup ; je vois les manches retomber. Mais je sens toute la file des officiers et toutes les rangées des bêtes jusqu’à l’horizon se réveiller soudain, gonfler un effort terrible sous la peau de leur marbre et ne rien pouvoir.

Lui, se reploie et s’affaisse. Va-t-il tout à fait mourir ici, le corps dispersé, l’âme volée, absent de tout ? Il se relève, d’un effort indécis, avec des gestes illusoires, et il reprend sa marche, faiblement, vers la tablette encore. Il veut la suivre, l’occuper jusque dans quels lieux ! — C’est trop. À mon tour, malgré les principes ! À moi ! — Je me détourne. Je cours sans arrêt : les portes, les arches, l’esplanade : au milieu, par la voie droite : j’ai droit ! La grande salle : voici le trône, le dais, le socle : cette pierre dans ma main et