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Elle est encore à naître parmi nous, cette langue poétique si désirée ; nous n’avons ni augmentatifs, ni diminutifs. Quel a été l’ouvrage de cette compagnie célèbre ? un Vocabulaire timide qui s’est traîné pendant cent années dans la faiblesse et dans la peur, qui trahit à chaque pas l’audace de la pen-

    de gaîté, celui-ci n’en manquera point, comme on voit ; c’est qu’il n’y a qu’un seul moyen de répondre au pédantisme, se moquer de lui, lui dire à voix haute : Je me servirai de tel mot, précisément parce que tu n’en veux pas ; et quand tu soulignes, tu m’avertis que c’est-là la bonne expression.

    Il n’y a rien de tel qu’un peuple sans Académie, pour avoir une langue forte, neuve, hardie et grande. Je suis persuadé de cette vérité comme de ma propre existence. Ce mot n’est pas français, et moi je dis qu’il est français, car tu m’as compris : si vous ne voulez pas de mon expression, moi je ne veux pas de la vôtre. Mais le peuple qui a l’imagination vive, et qui crée tous les mots, qui n’écoute point, qui n’entend point ces lamentations enfantines sur la prétendue décadence du goût, lamentations absolument les mêmes de temps immémorial, le peuple bafoue les régenteurs de la langue, et l’enrichit d’expressions pittoresques, tandis que le lamentateur s’abandonne à des plaintes que le vent emporte. J’en appelle donc au peuple, juge souverain du langage ; car si l’on écoute les puristes, l’on n’adoptera aucun mot, l’on