Page:Mercœur - Œuvres complètes, I, 1843.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

quand on a su que je persistais à publier les œuvres de mon Élisa, et à donner au public le

    si des paroles plus ou moins durement prononcées pouvaient me délier du serment que j’ai fait à ma pauvre enfant en présence de la mort.

    Élisa Mercœur étant devenue par sa mort le domaine des auteurs, me disait-on, je ne pouvais, sans encourir le blâme, empiéter sur leurs droits ; que je n’avais probablement pas réfléchi qu’en écrivant moi-même les Mémoires sur la vie de ma fille, que j’allais leur ôter tout l’intérêt qu’une plume exercée y répandrait ; que, d’ailleurs, il fallait bien me dire que pour avoir le droit de fixer l’attention du lecteur, il me fallait beaucoup d’autres choses que d’avoir su aimer et élever mon enfant ; que l’on était forcé d’avouer que je possédais beaucoup d’instinct * ; mais que l’on croyait devoir m’avertir en confidence, que c’était du génie et un nom habitué à se faire applaudir que le lecteur cherchait dans les ouvrages qu’il se donnait la peine de lire.

    La terre n’avait point encore recouvert la dépouille mortelle de ma fille qu’une personne qui, s’imaginant (je ne sais fondée sur quoi, puisqu’il n’avait existé aucune espèce de relation entre elle et ma fille) qu’elle publierait les œuvres d’Élisa Mercœur, sans réfléchir à l’inconvenance de sa proposition, dans un instant où j’étais livrée au plus affreux désespoir (on venait d’enlever la bière de ma pauvre enfant pour la porter à l’église) ; eh bien ! cette personne me pria de lui donner les manuscrits d’Élisa, qu’elle terminerait les travaux qui n’étaient pas achevés, et qu’elle les publierait ensuite. Je ne sais si je dus à mon refus une lettre anonyme en quatre pages que je reçus peu de temps après ; mais ce

*. Pour aimer mon enfant, l’instinct m’aurait suffi sans doute : je n’aurais eu qu’à suivre l’impulsion de mon cœur. Mais pour l’élever il m’a fallu, je crois, plus que cela ; il m’a fallu du jugement, et le jugement est le fruit de longues et sérieuses réflexions.