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et Roumains aboutit à imposer à une moitié de la population une langue étrangère, qui, sans supériorité d’aucune sorte, n’offre que des inconvénients pratiques.

La situation de l’Autriche est plus singulière encore. En Hongrie, les Magyars forment près de la moitié de la population totale du royaume ; si tyrannique qu’elle soit, leur hégémonie s’appuie sur un bloc qui occupe la partie centrale du territoire. Aussi longtemps que Slovaques, Croates et Roumains ne seront pas restitués aux groupes auxquels ils appartiennent naturellement, et que le royaume de Hongrie gardera les limites artificielles qu’il a maintenant, les prétentions tyranniques des Magyars s’appuient sur une base ayant quelque solidité. En Autriche au contraire, les éléments de langue allemande, qui prétendent de même à l’hégémonie et dont les prétentions à l’hégémonie ont faussé depuis le moyen âge tout le cours de l’histoire du pays, ne sont guère, d’après les statistiques officielles, faites par une administration surtout allemande, que le tiers de la population totale du pays. Sauf un million environ d’individus parlant des langues romanes, principalement l’italien, les deux autres tiers parlent des langues slaves.

Longtemps, la politique des Habsbourg a réussi à imposer la domination de sa bureaucratie allemande à tout le pays. Au début du xixe siècle, on a pu croire que les Habsbourg avaient étouffé les nationalités slaves. La Pologne était partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Des Ruthènes ou Petits Russes, paysans illettrés que dominait une aristocratie polonaise, il n’était pas question. Il n’y avait plus ni littérature tchèque ni littérature serbe. La domination de l’allemand semblait établie. Mais tout à coup les nationalités endormies se sont réveillées. La langue tchèque s’est retrouvée vivace. Le génie de Vuk a constitué la langue littéraire serbo-croate. Les Slovènes, qui n’avaient jamais eu de littérature et qui étaient tout entourés et pénétrés d’Allemands et d’Italiens, se sont aperçus qu’ils étaient un groupe à part.

La renaissance slave rencontre des difficultés infinies. Partout la politique a divisé les Slaves : les Serbo-Croates, qui parlent une langue une, étaient répartis entre l’Autriche, la Hongrie, la Croatie (qui dépend de la Hongrie), la Bosnie-Herzégovine (qui est une sorte de pays d’empire, dépendant à la fois de l’Autriche et de la Hongrie), le royaume de Serbie, le Monténégro et la Turquie ; des différences de confessions achè-