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de colonisation, où se parlent des langues diverses, dont presque aucune n’a une valeur de civilisation, et où le nombre des colons russes est déjà très grand.

Dans la région de la mer Baltique, la situation est, comme au Caucase, très compliquée. En Lituanie, le lituanien est employé surtout par la population rurale ; il se juxtapose au blanc-russe, qui est un parler proprement russe ; dans les villes, la bourgeoisie parle surtout le polonais, et les juifs le yiddish, qui est, on le sait, un parler allemand. Dans le pays letton, la grande majorité de la population parle lette ; mais il y a une aristocratie de langue allemande. Enfin, plus au Nord, on trouve l’esthonien qui est un parler du groupe finnois, sans littérature. Ici aussi se posent des questions délicates, qui ne pourront être résolues que par une étude attentive, et à l’aide de principes à établir.

Mêlés aux populations russes, on trouve dans le reste de l’Empire russe, des gens de langues diverses. Dans le bassin de la Volga et dans l’Oural, il y a des populations de langue finnoise, principalement Mordves, Tchérémisses, Votiaks ; aucune de leur langues n’a de littérature, aucune n’est une langue de civilisation, et la russification se fait sans effort, par le fait même du progrès de l’instruction et de la civilisation. En Crimée, et surtout dans la région de Kazan, il y a des Tatares, qui ont un parler turc et qui ne s’assimilent guère parce qu’ils sont musulmans. Il y a aussi des colonies allemandes disséminées dans le bassin de la Volga ; et, dans les gouvernements de l’Ouest, les juifs peu cultivés emploient le yiddish. En Russie blanche et en petite Russie, certains éléments nobles ou bourgeois emploient le polonais, tandis que le fond de la population emploie un dialecte russe.

Mais de l’Océan Glacial à la Mer Noire, de la rive droite du Bug à la Volga, et en partie à l’Est de la Volga, il y a une masse compacte de populations dont le russe est la langue. D’après les chiffres de 1914, la population de langue russe dans le domaine proprement russe comprenait plus de 75 millions d’individus. Dans tout ce vaste domaine, le russe est la seule langue de civilisation de l’immense majorité, et souvent de l’unanimité, de la population. Le russe a eu, au cours du xixe siècle, l’une des plus belles littératures de l’Europe, l’une des plus originales, des plus humaines. Et il a été assoupli de manière à rendre aisément