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LA CIVILISATION ET LE GRANDS FLEUVES.

social et politique pour le présent et l’avenir. » Par un procédé didactique cher aux moralistes de tous les pays, les grands réformateurs de la Chine reportaient leur idéal à cet âge d’or que tous les peuples croient avoir connu, mais dont ils ne conservent que d’incertains souvenirs. À ce point de vue, peu importait à l’auteur que Yao, Chouñ ou tout autre souverain légendaire eût vécu et accompli, ou non, tel ou tel fait, à lui attribué uniquement pour le proposer en exemple aux contemporains. N’était-il pas très sage de s’attacher de préférence à des temps, à des personnes imaginaires dont on pouvait diriger à sa guise les paroles et les actions sans se heurter à quelque fait gênant ? Meng-tse (Mencius) dit expressément que la légende de Chouñ n’est pour lui qu’une invention des « barbares du Sud » ; Confucius avoue ne rien savoir de Yao ou de Chouñ[1]. Cela ne l’empêche pas pourtant de consacrer à ces deux souverains modèles les deux premiers tiañ (chapitres du classique des Annales), afin de montrer qu’un bon roi doit être électif, qu’il doit se préoccuper tout particulièrement de l’organisation territoriale des provinces, choisir ses ministres et ses mandataires parmi les plus capables, et quel que soit leur rang… Dans les Dialogues (Louñ-yu, XX, § i) il va jusqu’à citer des paroles de ce monarque fabuleux : « Si j’ai quelque tort, faut-il que le mal retombe sur les dix

  1. Pour les ouvrages attribués à Confucius et à Mencius, cf. la belle traduction anglaise, Chinese classics, etc. de J. Legge, dont il existe une édition populaire.