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sur les bords du nil


désire plus rien, quand elle n’aime plus rien, quand elle ne hait plus rien non plus, quand chaque fois que son cœur bat il semble qu’elle va défaillir…

— Poursuis toujours !

— Quand son souffle est plus faible que celui d’un petit oiseau : quand elle ne rit, ne pleure, ne parle plus : quand elle n’a plus même un sourire, ni une plainte, ni un soupir : quand elle ne veut plus voir la lumière du soleil, mais se cache et souffre silencieusement sous les draperies de sa chambre… »

Cet homme en parlant me regardait avec de grands yeux pleins de fièvre et d’inquiétude : à mesure qu’il s’avançait dans la description des symptômes du mal, son trouble augmentait visiblement, en dépit de ses efforts. Il devait aimer la malade avec tout ce qui pouvait rester de passions et d’ardeur dans cette âme flétrie ; sans le vouloir, il venait de me découvrir tout entier le secret de son cœur.

« Tu n’as pas fini, demandai-je.

— Quand elle pousse tout à coup un cri perçant et douloureux, comme si un poignard l’atteignait en pleine poitrine ; quand elle murmure sans cesse un mot, toujours le même.

— Quel mot ?

— Un nom… Quand, en toussant, le sang jaillit sur ses lèvres pâles… »

Et il regardait toujours fixement, les yeux attachés aux miens dans une angoisse poignante. On eût dit que j’allais prononcer de sa mort ou de sa vie. Je n’hésitai pas cependant à exprimer la fatale conclusion :

« Si tout cela est, elle mourra. »

Àbrahim demeura sans mouvement ; il semblait frappé au cœur. Puis il se souleva et se dressa devant moi avec sa haute taille, son geste menaçant. Son fez venait de tomber, sa pipe lui glissait des mains ; sur son visage on lisait une lutte terrible. Cette figure devenait de plus en plus étrange : elle ressemblait à celle de Satan telle que l’a conçue le génie de Gustave Doré. Non point Satan portant queue et cornes, grimaçant et montrant ses pieds de bouc, mais Satan beau comme un archange, défiguré seulement par l’expression hideuse, passionnée, diabolique de ses traits.

Les yeux du musulman ne quittaient pas les miens ; ils étaient