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une bataille au désert

Lindsay s’éloigna à ces mots, pour faire à la hâte ses préparatifs de départ.

Cependant les trois chefs vaincus comparurent dans la soirée devant leurs vainqueurs, et furent contraints d’accepter toutes les conditions ; puis le grand festin commença. Beaucoup de moutons y laissèrent leurs os. Fatigué du mouvement et du bruit de cette journée, ennuyé de ces longs repas arabes, je parvins à m’esquiver quelques instants ; j’allai me reposer auprès d’un massif odoriférant, assez près du camp pour que les voix et les cris parvinssent encore jusqu’à moi, mais assez isolé pour y rêver tranquillement. À la place où je me trouvais, les Doryphores avaient brandi leurs terribles lances ; la tente d’Holopherne s’était peut-être dressée là, sur cette terre que je foulais du pied. Je la voyais : toute de pourpre, avec ses cordes d’or, ses broderies d’émeraudes et de pierres précieuses. Plus loin, sur les ondes bruyantes du fleuve, je me figurais apercevoir les antiques flottilles décrites par Hérodote.

« Les canots sont de forme ronde et construits avec des peaux. Ce sont les Arméniens et les gens de la haute Assyrie qui les travaillent ainsi. Leur carcasse est faite d’osier et de branches flexibles qu’on revêt de cuir durci. Ronds comme un bouclier, on ne voit aucune différence entre l’avant et l’arrière. Les matelots garnissent le fond de leur bateau avec de la paille ou des roseaux. On charge sur ces embarcations des marchandises de toutes sortes, particulièrement du vin de palme, et on leur fait suivre la pente du fleuve. Les canots ont deux rames et deux rameurs ; l’un tire sa rame à lui, pendant que l’autre pousse la sienne. Les dimensions de ces bateaux diffèrent ; quelques-uns sont si grands, qu’ils peuvent porter une charge estimée à cinq mille talents ; les plus petits ont un âne à bord ; les grands emmènent plusieurs de ces animaux. Aussitôt que les matelots débarquent à Babylone, ils se débarrassent de leurs marchandises, puis offrent aussi en vente la carcasse et les roseaux de leur canot ; ils chargent les peaux sur leurs ânes et s’en retournent par l’Arménie, où ils construisent un nouveau bateau. »

Malgré les siècles écoulés, on retrouve encore de ces embarcations singulières, et pourtant toute l’ancienne civilisation a disparu de ces rives. Lorsqu’un même nombre de siècles aura passé après nous, que sera devenue cette contrée ?