Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée
307
une bataille au désert


parmi lesquels il choisit un chambiych, sorte de large couteau recourbé dont la lame lança des éclairs en reflétant les feux de la tente. Cet homme était le barbier de la tribu.

« Pourquoi ne prends-tu pas un rasoir ? demanda le cheikh.

— Couperais-je avec un rasoir les barbes de ces lâches ? Je ne pourrais plus me servir de mon instrument pour toucher la tête des vaillants Haddedîn.

— Tu as raison ; achève ta besogne ! »

Les Obeïd s’agitaient beaucoup : ils se défendaient de toutes leurs forces pour échapper à l’opération, car rien ne pouvait être plus honteux pour des hommes de ces contrées ; mais ils furent solidement liés, et Abou el Mansour leur trancha la barbe avec son grand couteau, aussi promptement, aussi soigneusement que le plus habile de nos Figaros l’eût pu faire avec un excellent rasoir.

« Maintenant, ordonna le cheikh, puisqu’ils sont des femmes, qu’on les fasse garder par des femmes ! On leur donnera des dattes, du pain et de l’eau ; mais s’ils font un pas pour s’éloigner on leur enverra une balle dans la tête ; emmenez-les ! »

La sentence du chef concernant l’enlèvement des barbes n’avait pas seulement pour but de dégrader les prisonniers, mais de les empêcher de prendre la fuite. Ces hommes n’eussent jamais osé retourner sans barbe dans leur tribu.

Lorsqu’on les eut fait sortir, le cheikh se leva et tira son poignard. Il avait l’air grave et solennel ; je supposai que quelque chose d’extraordinaire allait se passer. En effet, Mohammed Emin, ayant ordonné le silence, commença son discours en ces termes :

« Allah il Allah ! Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah ; tout ce qui vit il l’a fait, et nous sommes ses enfants. Pourquoi ceux qui devraient s’aimer se haïssent-ils ? Pourquoi ceux qui devraient être unis se séparent-ils ? Beaucoup de branches s’agitent dans la forêt, beaucoup d’épis ou de fleurs s’élèvent dans la prairie ; elles sont toutes égales entre elles ; elles se connaissent et ne se séparent point. Cheikh Malek, tu es un grand guerrier, et je t’ait dit manou malihin ; nous avons mangé le sel ensemble. Hadji Kara ben Nemsi, toi aussi tu es un grand guerrier ; je t’ai dit de même le manou malihin. Vous habitez tous deux dans ma tente, vous êtes mes amis et mes compagnons ! J’agis pour vous, vous agissez pour moi. Ai-je dit la vérité ? ai-je bien parlé ? »