Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée
256
une bataille au désert

L’Anglais ferma la bouche, en s’efforçant d’avaler.

« Brrrou ! murmura-t-il. J’ai un couteau, une fourchette et une cuiller dans ma petite valise, je vais…

— Gardez-vous en bien ! Il faut suivre les usages du lieu, autrement…

— Horreur ! reprit mon malheureux compagnon.

— Que dit cet homme ? me demanda le chef.

— Il se félicite de ton bon accueil.

— Oh ! je veux le traiter dignement à cause de toi ! »

Là-dessus le vieillard plongea sa main dans la marmite de lait caillé, et soumit de nouveau l’honorable insulaire au régime de la pâtée ; le long nez de Lindsay devint tout blanc. Incapable d’apprécier ce procédé, l’Anglais souffla une fois ou deux comme s’il allait étouffer, puis essaya de se débarrasser de la moitié de la portion tout en introduisant le reste dans son gosier rebelle.

« Affreux ! balbutia-t-il. Faut-il donc endurer cela ?

— Oui.

— C’est indispensable ?

— Tout à fait. indispensable ; seulement vengez-vous.

— Comment faire ?

— Faites comme moi. »

Je plongeai la main dans la pâtée sucrée, et je remplis la bouche du chef d’une bonne poignée ; à peine avait-il avalé, que Lindsay lui présentait gravement une autre poignée de beurre à demi liquide.

Notre Arabe ne sourcilla point ; il fît ce que je ; n’aurais jamais cru un musulman capable de faire : il mangea de la main des infidèles, quitte à se purifier sans doute par des ablutions pu par un jeune plus ou moins long.

Après avoir ainsi rendu la politesse au cheikh, je partageai mes faveurs entre mes plus proches voisins, ce qui parut les combler d’honneur, car ils me tenaient pour un héros, et il n’était pas bien établi que je fusse un giaour.

Il ne resta bientôt plus rien des mets qu’on nous avait servis. Le chef frappa bruyamment dans ses mains, et on apporta le sini. C’est une grande marmite qui mesure souvent six pieds de tour : elle est peinte et ornée d’inscriptions ; elle contient le birgani, mélange de riz et de viande de mouton, le tout flottant sur une mer de beurre chaud ; puis le ouarah-machi, ragoût de tranches