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une bataille au désert


bantes. La marche presque cadencée du chameau et ses grandes jambes sous cet appareil contribuent à la bizarrerie de la silhouette.

Notre apparition au milieu de la caravane causa tout d’abord une surprise extrême. Le costume européen de sir Lindsay et de ses domestiques, l’habit à carreaux gris de l’Anglais surtout, étaient bien faits pour cela. Ces gens nous regardaient comme on regarderait un Arabe s’il traversait dans son pittoresque et majestueux costume les rues de Paris ou de Vienne.

Nos guides nous firent fendre la presse pour nous conduire devant une tente nouvellement dressée, autour de laquelle des lances étaient fichées en terre, signe distinctif de la demeure du chef. De nombreux esclaves étaient occupés à construire d’autres tentes environnant celle-là ; ils avaient soin de donner au camp la forme d’un grand cercle.

Les cavaliers qui nous amenaient sautèrent à bas de leurs montures, pénétrèrent dans la demeure principale et en sortirent bientôt accompagnés du chef, dont l’aspect me fit songer aux patriarches. Je croyais, en vérité, voir Abraham sortant de sa tente dans la vallée de Membre pour saluer ses hôtes. Le chef arabe portait une longue barbe blanche comme la neige, descendant jusqu’au bas de la poitrine ; mais il semblait encore plein de vigueur ; ses yeux noirs et perçants se fixèrent sur nous d’une façon assez peu bienveillante ; il leva les mains à hauteur du cœur, puis nous salua lentement par ce mot :

« Salam ! »

C’est le salut qu’un vrai croyant adresse à l’infidèle, tandis qu’il prononce toujours le Salam aléïkoum lorsqu’il aborde un frère.

« Aléïkoum ! » répondis-je en descendant de cheval.

Le vieillard me regarda plus fixement encore, et me demanda :

« Es-tu mahométan ou giaour ?

— Depuis quand un fils de la noble race des Chammar adresse-t-il à son hôte une pareille question ? Le Coran ne dit-il pas : « Nourris l’étranger et désaltère-le ; laisse-le reposer près de toi sans lui demander ni d’où il vient ni où il va ? » Qu’Allah te pardonne de recevoir tes hôtes comme des cabassers turcs ! »

Notre Arabe fit un geste d’impatience ; il reprit en regardant l’Anglais :