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les pirates de la mer rouge


fit hâter le pas. J’allai pour remplir ma bouteille à la sainte fontaine. Là je dus attendre mon tour assez longtemps. Je fis une petite aumône, bouchai mon vase et le glissai dans mes vêtements. Je revenais vers l’entrée, quand je reconnus cette fois l’étranger ; il se trouvait à dix pas : c’était Abou Seïf.

Une sueur froide courut sur tous mes membres ; heureusement je ne perdis pas tout à fait la tête ; au lieu de m’enfuir, je continuai mon allure ordinaire, me dirigeant vers la troisième colonnade, au bout de laquelle se tenait le magnifique chameau de course qui avait amené le pirate ; m’en emparer était ma seule ressource.

Mes souliers restaient aux mains des gardiens ; je n’avais pas le temps de m’en inquiéter. Soudain on cria derrière moi :

« Un giaour, un giaour ! Gardiens du temple, empoignez le ! »

Je ne pouvais me retourner ; mais j’entendis un bruit effroyable, de l’eau renversée, des vases se choquant, des gens courant et hurlant, des pas semblables à ceux d’un troupeau de buffles retentissant sur les parvis. Il n’était plus temps d’affecter la gravité ; je pris mes jambes à mon cou, je franchis l’enceinte, et, sautant d’un bond les trois degrés du temple, je m’élançai sur le chameau en repoussant avec le poing les deux ou trois serviteurs effarés qui gardaient la bête, dont heureusement les genoux n’étaient pas liés ; mais allait-elle m’obéir ?

« E-ô, ah-e, ô, âh ! »

À cet appel bien connu, le chameau se releva ; je l’excitai encore, il s’enfuit rapide comme le vent. Plusieurs coups de feu retentirent derrière moi. « En avant ! criai-je, en avant ! » Mon chameau fendait l’air. C’était un excellent coureur, un chameau pâle des montagnes du Djammar : avec une bête laineuse, j’eusse été perdu.

En moins de cinq minutes je me trouvai hors de la ville ; on me suivait toujours. Les cavaliers s’étaient sans doute emparé des animaux qui campent aux environs du khan ou du sérail.

Où aller ?… Rejoindre la fille du chef ? Je trahirais ainsi mes hôtes. Il fallait pourtant que nous nous retrouvions. J’animais mon chameau par des cris incessants : il s’élançait avec une incomparable vitesse. Arrivé au sommet de la montagne, je me retournai ; quelques cavaliers continuaient à me poursuivre. Au premier rang je vis Abou Seïf ; il était à cheval ; son cheval semblait voler. Je le dépassai de beaucoup cependant.