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les pirates de la mer rouge


en Europe ? des limaçons, des grenouilles, du lait corrompu que vous appelez fromage, et vous faites le délicat sur les sauterelles ! Allons donc !

« Savez-vous quel est le grand homme qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ?

— Oui, un saint dont parle la Bible, je crois.

— A la bonne heure ! un grand saint que vous pouvez imiter, au moins en goûtant des sauterelles. Avez-vous une couverture ?

— Oui.

— Est-ce que le chamelier nous accompagne ?

— Non, j’ai loué les chameaux seuls.

— Très bien. Venez ! »

Le loueur de montures habitait à deux maisons plus loin. C’était un vieux Turc ; dans sa cour nous trouvâmes trois misérables chameaux, maigres à faire pitié.

« Où est ton écurie ? demandai-je.

— Là. »

Il me montrait un mur qui partageait la cour en deux.

« Ouvre la porte.

— Pourquoi ?

— Parce que je veux voir s’il y a là encore d’autres chameaux. »

Je poussai la porte presque malgré lui, et j’aperçus huit beaux chameaux de course.

« Combien nous loues-tu les chameaux que tu nous a sellés ? »

Il me dit une somme équivalant à un peu plus de trente francs.

« Et pour un pareil prix tu nous donnes des bêtes de charge avec les pieds et les jambes blessés. Regarde : leurs lèvres pendent comme ta manche, dont le coude est déchiré ; et leurs bosses ! ce ne sont plus des bosses ! ils ont fait un long chemin, ils sont surmenés ; ils peuvent à peine soutenir la selle. Allons ! donne-nous d’autres montures, d’autres selles, d’autres couvertures ; tout cela est pitoyable ! »

Il me regarda avec colère et défiance.

« Qui es-tu, pour commander ?

— Vois ! ce bouyouroultou va te l’apprendre ; et si tu n’obéis pas, le Grand Seigneur saura que tu es un fripon et que tu éreintes tes malheureuses bêtes jusqu’à la mort. Tu voulais tromper mon compagnon, n’est-ce pas ? Allons, vile, prépare-moi ces trois