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les pirates de la mer rouge

Djeddah, il n’est pas besoin de le dire, fourmille de mendiants, dont la plus grande partie se compose d’Indiens. Les pèlerins pauvres des autres contrées travaillent sur le port ou au bazar, afin de gagner de quoi reprendre leur voyage ; mais les Indiens sont trop paresseux pour travailler, ils tendent la main ; et qui entreprendrait de donner à tous ces quémandeurs seulement la plus petite monnaie, devrait bientôt mendier à son tour.

Après avoir visité le cimetière, je revenais en longeant le port, cherchant dans ma tête le moyen de me rendre à la Mecque, quand un refrain bien connu frappa mes oreilles. Une chanson de mon pays, à Djeddah !

Je regardai dans la direction de la voix, et je vis sur l’eau un petit canot conduit par deux hommes. L’un d’eux était certainement un indigène : ses vêtements et son teint le prouvaient ; la barque lui appartenait sans doute. L’autre, debout près du rameur, portait un costume fort original. Un turban bleu, de larges pantalons turcs, une vieille redingote européenne à la mode du siècle dernier ; joignez à cela une cravate de soie jaune flottant autour du cou et une ceinture si épaisse, qu’elle devait cacher un véritable armement de guerre.

Ce singulier personnage remarqua mon attention ; il pensait probablement avoir affaire à un Bédouin amateur de musique : renforçant sa voix à l’aide de sa main formant un cornet, il reprit sa chanson avec une joyeuse insistance.

J’aurais volontiers sauté au cou du chanteur, n’eût été la distance. Je me souvenais de ma rencontre avec l’ex-barbier près du Nil ; celle-ci me faisait le même plaisir. Moi aussi je mis mes mains autour de ma bouche et je chantai :

Entre toi et moi
Il y a une rue, etc.

Nous nous répondîmes mutuellement, couplets par couplets ; puis mon compatriote présumé, trépignant de joie, enleva son turban, tira son sabre, mit l’étoffe bleue à la pointe de l’arme, l’agita comme un fou au-dessus de sa tête ; après quoi il saisit une rame et aborda promptement en face de moi.

« Un Turc qui parle allemand ? s’écria-t-il.

— Non ; un Allemand qui fait le Turc.