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les pirates de la mer rouge

« Je te remercie, lui dis-je ; je vais bien, ma santé est excellente ; mais toi, comment vas-tu, toi le fils d’un vaillant père ? Comment va ton commerce, pieux héritier de la race sacrée des musulmans ? »

Je me servis à dessein de ce dernier compliment, parce que je vis qu’il portait le mechalech. Djeddah, quoique ouverte récemment aux chrétiens, est une ville sainte, et tous les habitants des villes saintes ont le droit de porter ce signe honorifique. Quatre jours après la naissance d’un enfant, on pratique sur ses joues et à chaque tempe une incision, dont la cicatrice reste visible toute la vie ; c’est ce qu’on appelle le mechalech.

« Tes paroles sont des fleurs, elles embaument l’air comme la marche des filles du paradis, me répondit le pauvre homme. Je vais bien, je suis content des affaires que j’entreprends. A ton service, Effendi !

— Et que fais-tu ?

— J’ai trois bêtes à conduire ; mes fils sont des hamari[1], je les aide.

— Pourrais-tu nous fournir deux ânes ?

— Oui, Sidi.

— Combien demandes-tu pour tes bêtes ?

— Où veux-tu aller, Sidi ?

— Je suis étranger dans cette ville, tu nous conduiras à une demeure que je puisse louer. »

L’ânier me jeta un regard de défiance : un étranger arrivant à pied, cela lui semblait évidemment louche.

« Sidi, me demanda-t-il, veux-tu venir où j’ai déjà conduit ton frère ?

— Quel frère ?

— Celui qui est venu hier, au temps du Moghreb[2], avec treize hommes à pied, comme toi. Je les ai conduits au grand khan. »

C’était certainement Abou Seïf. Je repris :

« Cet homme n’est point mon frère ; je ne veux pas loger dans un khan ni dans un fondouk, mais dans une maison privée.

— Tant mieux, Sidi. Je connais une maison où tu seras comme un prince, tant elle est belle !

— Combien demandes-tu pour nous conduire ?

  1. Aniers.
  2. Prière du soir.