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personne, qui ai perdu la moitié de ma vie pour avoir manqué de souplesse !

J’ignore ce que j’eusse fait. Mon plan était de l’interpeller devant un choix de personnes qui auraient constitué un arbitrage.

Mais le sage et prévoyant Grévy m’avait préparé un autre piège pour se préserver de mes atteintes. En mon absence, Laferrière avait été monté contre moi. M. Ferry lui avait dit qu’on ne devait pas travailler dans un journal dirigé par Maurice Joly ; et cependant M. Ferry était mon actionnaire, et j’aurais pu, si je l’avais voulu, faire échouer son élection dans le 6e arrondissement ; il suffisait de lui enlever les trente voix de majorité qu’il avait eues sur M. Cochin, en l’insultant, en le ridiculisant, en rusant effrontément. Mais passons…

De divers côtés, on mordait les talons de Laferrière, pour qu’il m’abandonnât. Laferrière, chapitré par Grévy qui lui tint je ne sais quel langage, se tend comme un arc ; et le matin même où je me présentais au bureau de mon journal, arrivant de la gare, ce matin-là même Laferrière me donnait sa démission en me jetant des injures à la tête. Soufflet de ma part, tentative de pugilat de la sienne. Duel convenu, ses témoins sont Coulon et Ferry ; les miens, Henri Rey et Fontaine de (Rambouillet).




J’étais arrêté raide dans ma marche sur Grévy. La poursuivre, en un pareil moment ; c’était faire dire par mes ennemis que j’étais un fou, un taureau, que je courais sus à tout le monde. J’eus la force, et il m’en fallut, d’avaler mon affront-Grévy en travers.

Mais Grévy, comme bâtonnier, se trouva en plein dans l’affaire, parce que très-malencontreusement M. Ferry avait saisi de cette affaire le bâtonnier qui était précisément le député du Jura.

Des efforts très-persévérants, très-vigoureux furent faits pour obtenir de moi des excuses pour la voie de fait en question que je ne regrettais nullement. Le but de ces efforts était facile à comprendre. Si je faisais des excuses, j’étais un homme à la mer. Je refusai de voir M. Grévy, je remerciai M. Marie de son intervention, et je déclarai que puisqu’on parlait d’excuses il n’y avait plus qu’à se battre.

Nous allâmes sur le terrain ; mon ami Roy conduisit la chose en parfait gentleman. Laferrière avec qui je suis depuis longtemps réconcilié, se conduisit très-crânement sur le terrain. Il eut le bonheur de me blesser à la main et de voir les témoins s’interposer d’une manière absolue quand je voulais continuer le combat. Mon éminent ami, le docteur Péan, pensa ma légère blessure et tout fut dit de ce côté.

Alors je revins sur Grévy comme le sanglier poursuivi par un des