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de son ton dolent. — Est-ce vrai ? Non. — M’attaquerez-vous ou me ferez-vous attaquer ? — Non. — Ma candidature vous est-elle sympathique ? — Oui.

Je partis, repoussant comme des perfidies les communications qu’on m’avait faites, réfléchissant, d’ailleurs, que cette double attitude qu’on prêtait à M. Grévy était incompatible avec ce qu’on savait généralement de son caractère ; et puis, deux mois auparavant, dans mon journal, j’avais fait, pour célébrer son bâtonnat, un portrait exempt de toute adulation (la flatterie m’est impossible), mais si empreint de sentiments d’amitié, même de dévouement pour lui, que le supposer mon ennemi secret et résolu à me perdre quand je lui serrais la main depuis dix ans, me paraissait une monstruosité.




Arrivé dans le Jura, toute la démocratie gauloise se déclara pour moi. Vous souvenez-vous, Robert, Travailland, Muneret, Corne et tant d’autres, quel accueil vous fîtes au prisonnier de Bonaparte ? Je ne vous en veux pas d’avoir abandonné un moment mon humble fortune. Je n’ai de haine que pour les fourbes.

Je me présentai dans la 3e circonscription ; mais mon projet n’était nullement de prêter serment.

Je préparais en secret, avec deux de mes amis, une avanie au gouvernement en faisant voter pour moi, malgré le refus de serment.

M. Grévy le sut-il ? Je ne le crois pas. Ce qui est certain, c’est que je sentis au bout de quinze jours le souffle pestilentiel dont j’ai parlé plus haut, le souffle de mes ennemis.

Il m’est impossible de raconter ici toutes les ruses, tous les trucs, c’est le mot, que les affidés de Grévy m’opposaient à mon insu, à deux mois de distance des élections. Ce que l’astuce peut imaginer de plus noir, de plus ténébreux, fut mis en œuvre contre moi. Voyant que le souffle populaire était en ma faveur, on me suscita plusieurs concurrents pour me tenir en échec. Ce fut M. Jobey, puis le général Gagneur, puis un M. de Ronchaux, un des hommes les plus méchamment retors que je connaisse[1].

Tout à coup, un bruit court, « c’est M. Gagneur qui est le candidat de M. Grévy » (sic). Je ne veux rien dire de ce brave homme et de Mme Gagneur, son épouse ; mais vraiment, en démocratie, il faudrait

  1. M. Valette, l’éminent professeur de droit, avait refusé la candidature à cause du serment, ainsi que l’honorable général Tamisier.