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III

LE CERCLE DU DANTE.


Qu’allait devenir ce malheureux jeune homme sans protection, sans famille, sans expérience, jeté un beau matin à travers le monde avec quelques centaines de francs au fond de sa valise ?

Encore plein d’idées romanesques, il avait eu un instant la pensée d’aller à la recherche de son père, comme Télémaque. Mais, depuis un an, M. Raymond n’avait répondu à aucune lettre, et il semblait impossible de retrouver ses traces.

Il partit pour Paris dans l’espoir d’y trouver quelque occupation. N’ayant jamais eu, à proprement parler, de famille, ne laissant derrière lui aucune affection, aucun souvenir, et, ce qui est plus extraordinaire, pas même une amourette, il n’éprouva pas le serrement de cœur que ressentent généralement les nouveaux débarqués au milieu de cette immense solitude peuplée d’êtres inconnus.

Au contraire, le sentiment de sa liberté, un certain orgueil qu’engendre l’infortune imméritée, avant qu’elle n’ait brisé les ressorts de l’âme, le trompèrent sur sa force. Il ne connaissait la vie que par les romans