Page:Maurice Joly - La Question brulante - H Dumineray editeur, 1861.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rare en un temps où les hommes, à peine débarqués dans le journalisme, vont se ranger au hasard sous le premier drapeau venu. Les gens de pouvoir ou d’opinion ne me sont connus ni par leurs bienfaits ni par leurs injures ; une voix sans notoriété ni talent, mais indépendante, peut mériter d’être entendue, même à côté de celles qui s’élèvent avec le prestige de la réputation, quand ces voix ont depuis longtemps jeté à tous les échos le cri de leur banalité ou de leur servitude.

Il y a peu de mérite, d’ailleurs, à écrire des brochures en ce temps-ci, il faut bien en convenir. Où sont donc celles qui reflètent un éclair de vérité, de passion ? Où le philosophe, le moraliste trouvera-t-il quelque physionomie, quelque aspect des tendances et de l’esprit de notre époque dans ces pâles publications, où l’on spécule sur un nom connu pour gagner quelques écus chez le libraire ? C’est la conspiration de la banalité. Le peuple, que l’on essaie de préparer au régime de la liberté, doit rire avec assez de dédain de l’usage qu’en font tous ces librettistes. Voilà donc les torrents de lumières que ces blasphémateurs sublimes tenaient en réserve pour le jour où la France aurait besoin de mille idées, de mille conseils pour en faire jaillir un principe ! Les hommes d’une certaine valeur, je le sais, dédaignent de descendre dans l’arène vulgaire où se débattent tous ces pauvres écrits. Pour nous, c’est la place publique cependant, c’est notre forum ; mais cette place, elle a été livrée aux faiseurs, qui peuvent y exercer impunément leur triste monopole… Mais je m’arrête, car, moi aussi, je descends dans cette arène, et, quoique je n’y descende pas sans passion, ce ne sont pas, du moins je l’espère, les passions d’un pamphlétaire.

Dans des moments comme ceux où nous vivons, les journaux sont des canaux trop étroits pour la pensée publique. Le public se soucie bien, d’ailleurs, d’entendre les mêmes voix dont il est fatigué depuis douze ans ! On demandait dernièrement la dissolu-