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histoire du vieux temps.


Et toujours tant de buts, tant d’amours à poursuivre !
Nous autres, il nous faut de la gaieté pour vivre ;
La tristesse nous tue, elle s’attache à nous
Comme la mousse à l’arbre épuisé. Voyez-vous,
Contre ce mal terrible il faut bien se défendre.
Et puis, tantôt, d’Armont est venu me surprendre
Nous avons remué la cendre des vieux jours,
Parlé des vieux amis et des vieilles amours ;
Et, depuis ce moment, comme une ombre incertaine,
Je revois s’agiter ma jeunesse lointaine.
Aussi je suis venu, tout triste et tout blessé,
M’asseoir auprès de vous, et parler du passé.

la marquise.

Moi, depuis le matin, l’horrible froid m’assiége ;
J’entends souffler le vent, je vois tomber la neige.
À notre âge, l’hiver afflige et fait souffrir ;
Quand il gèle bien fort on croit qu’on va mourir.
Oui, causons, car un bon souvenir de jeunesse
Ravive par instants notre froide vieillesse.
C’est un peu de soleil…

le comte.

C’est un peu de soleil…Mais dans un jour d’hiver ;
Mon soleil est bien pâle et mon ciel bien couvert.

la marquise.

Allons racontez-moi quelque folle équipée.
Vous étiez, dit l’histoire, un grand traîneur d’épée,
Jadis, monsieur le comte, insolent, beau garçon,
Riche, bon gentilhomme et de fière façon ;
Vous avez fait scandale, et croisé votre lame