Page:Maupassant - Mademoiselle Fifi, OC, Conard, 1909.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps de Mademoiselle Fifi, porté par des soldats, précédé, entouré, suivi de soldats qui marchaient le fusil chargé, quitta le château d’Uville, allant au cimetière, pour la première fois la cloche tinta son glas funèbre avec une allure allègre, comme si une main amie l’eût caressée.

Elle sonna le soir encore, et le lendemain aussi, et tous les jours ; elle carillonna tant qu’on voulut. Parfois même, la nuit, elle se mettait toute seule en branle et jetait doucement deux ou trois sons dans l’ombre, prise de gaietés singulières, réveillée on ne sait pourquoi. Tous les paysans du lieu la dirent alors ensorcelée, et personne, sauf le curé et le sacristain, n’approchait plus du clocher.

C’est qu’une pauvre fille vivait là-haut, dans l’angoisse et la solitude, nourrie en cachette par ces deux hommes.

Elle y resta jusqu’au départ des troupes allemandes. Puis, un soir, le curé ayant emprunté le char-à-bancs du boulanger, conduisit lui-même sa prisonnière jusqu’à la porte de Rouen. Arrivé là, le prêtre l’embrassa ; elle descendit et regagna vivement à pied le logis public, dont la patronne la croyait morte.