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Ceci se passait dans la salle à manger d’un hôtel de Barbizon.

Il reprit : « Donc nous avions dîné ce soir-là chez le pauvre Sorieul, aujourd’hui mort, le plus enragé de nous. Nous étions trois seulement : Sorieul, moi, et Le Poittevin, je crois ; mais je n’oserais affirmer que c’était lui. Je parle, bien entendu, du peintre de marine Eugène Le Poittevin, mort aussi, et non du paysagiste bien vivant et plein de talent.

« Dire que nous avions dîné chez Sorieul, cela signifie que nous étions gris. Le Poittevin seul avait gardé sa raison, un peu noyée, il est vrai, mais claire encore. Nous étions jeunes, en ce temps-là. Étendus sur des tapis, nous discourions extravagamment dans la petite chambre qui touchait à l’atelier. Sorieul, le dos à terre, les jambes sur une chaise, parlait batailles, discourait sur les uniformes de l’Empire, et soudain, se levant, il prit dans sa grande armoire aux accessoires une tenue complète de hussard et s’en revêtit. Après quoi il contraignit Le Poittevin à se costumer en grenadier. Et comme celui-ci résistait, nous l’empoignâmes, et après l’avoir déshabillé, nous l’introduisîmes dans un uniforme immense où il fut englouti.