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verras que ce gredin-là me fera du mal un jour ou l’autre. Je le sens. »

Mon oncle disait vrai. Et voici comment l’accident se produisit par ma faute.

Nous approchions de la semaine sainte. Alors mon oncle eut l’idée d’organiser un dîner gras pour le vendredi, mais un vrai dîner, avec andouille et cervelas. Je résistai tant que je pus ; je disais : « Je ferai gras comme toujours ce jour-là, mais tout seul, chez moi. C’est idiot, votre manifestation. Pourquoi manifester ? En quoi cela vous gêne-t-il que des gens ne mangent pas de viande ? »

Mais mon oncle tint bon. Il invita trois amis dans le premier restaurant de la ville ; et comme c’était lui qui payait, je ne refusai pas non plus de manifester.

Dès quatre heures, nous occupions une place en vue au café Pénelope, le mieux fréquenté ; et mon oncle Sosthène, d’une voix forte, racontait son menu.

À six heures on se mit à table. À dix heures, on mangeait encore ; et nous avions bu, à cinq, dix-huit bouteilles de vin fin, plus quatre bouteilles de champagne. Alors mon oncle proposa ce qu’il appelait la « tournée de l’archevêque ». On plaçait en ligne devant soi, six petits verres qu’on remplissait avec des liqueurs