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LE VAGABOND.

son cerveau, cette idée simple : « J’ai le droit de vivre, puisque je respire, puisque l’air est à tout le monde. Alors, donc, on n’a pas le droit de me laisser sans pain ! »

La pluie tombait, fine, serrée, glacée. Il s’arrêta et murmura : « Misère… encore un mois de route avant de rentrer à la maison… » Il revenait en effet chez lui maintenant, comprenant qu’il trouverait plutôt à s’occuper dans sa ville natale, où il était connu, en faisant n’importe quoi, que sur les grands chemins où tout le monde le suspectait.

Puisque la charpente n’allait pas, il deviendrait manœuvre, gâcheur de plâtre, terrassier, casseur de cailloux. Quand il ne gagnerait que vingt sous par jour, ce serait toujours de quoi manger.

Il noua autour de son cou ce qui restait de son dernier mouchoir, afin d’empêcher l’eau froide de lui couler dans le dos et sur la poitrine. Mais il sentit bientôt qu’elle traversait déjà la mince toile de ses vêtements et il jeta autour de lui un regard d’angoisse, d’être perdu qui ne sait plus où cacher son corps, où reposer sa tête, qui n’a pas un abri par le monde.

La nuit venait, couvrant d’ombre les champs. Il aperçut, au loin, dans un pré, une tache sombre sur l’herbe, une vache. Il