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de neuf ans, déjà brun, semblaient annoncer des hommes vigoureux, de grande taille, aux larges épaules. La famille entière semblait bien du même sang fort et vivace.

L’abbé prononça le bénédicité selon l’usage, lorsque personne n’était invité, car en présence des invités, les enfants ne venaient point à table. Puis on se mit à dîner.

La comtesse, étreinte d’une émotion qu’elle n’avait point prévue, demeurait les yeux baissés, tandis que le comte examinait tantôt les trois garçons et tantôt les trois filles, avec des yeux incertains qui allaient d’une tête à l’autre, troublés d’angoisse. Tout à coup, en reposant devant lui son verre à pied, il le cassa, et l’eau rougie se répandit sur la nappe. Au léger bruit que fit ce léger accident la comtesse eut un soubresaut qui la souleva sur sa chaise. Pour la première fois ils se regardèrent. Alors, de moment en moment, malgré eux, malgré la crispation de leur chair et de leur cœur, dont les bouleversait chaque rencontre de leurs prunelles, ils ne cessaient plus de les croiser comme des canons de pistolet.

L’abbé, sentant qu’une gêne existait dont il ne devinait pas la cause, essaya de semer