Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.

découvert, un vous qui n’est pas celui du monde, celui qu’on admire, celui qu’on connaît, un vous qui est le mien, qui ne peut plus changer, qui ne peut pas vieillir, que je ne peux pas ne plus aimer, car j’ai, pour le regarder, des yeux qui ne voient plus que lui. Mais on ne peut pas dire ces choses. Il n’y a pas de mots pour les exprimer.

Il répéta tout bas, plusieurs fois de suite :

— Chère, chère, chère Any.

Julio revenait en bondissant, sans avoir trouvé la caille qui s’était tue à son approche, et Annette le suivait toujours, essoufflée d’avoir couru.

— Je n’en puis plus, dit-elle. Je me cramponne à vous, monsieur le peintre !

Elle s’appuya sur le bras libre d’Olivier et ils rentrèrent, marchant ainsi, lui entre elles, sous les arbres noirs. Ils ne parlaient plus. Il avançait, possédé par elles, pénétré par une sorte de fluide féminin dont leur contact l’inondait. Il ne cherchait pas à les voir, puisqu’il les avait contre lui, et même il fermait les yeux pour mieux les sentir. Elles le guidaient, le conduisaient, et il allait devant lui, épris d’elles, de celle de gauche comme de celle de droite, sans savoir laquelle était à gauche, laquelle était à droite, laquelle était la mère, laquelle était la fille. Il s’abandonnait volontairement avec une sensualité inconsciente et raffinée au trouble de cette sensation. Il cherchait même à