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qui glissaient jusqu’à terre en mouillant les feuilles et se répandaient sur le chemin par petites flaques de clarté jaune. Annette et Julio couraient, semblaient avoir sous cette nuit sereine le même cœur joyeux et vide, dont l’ivresse partait en gambades.

Dans les clairières où l’onde lunaire descendait ainsi qu’en des puits, la jeune fille passait comme une apparition, et le peintre la rappelait, émerveillé de cette vision noire, dont le clair visage brillait. Puis, quand elle était repartie, il prenait et serrait la main de la comtesse, et souvent cherchait ses lèvres en traversant des ombres plus épaisses, comme si, chaque fois, la vue d’Annette avait ravivé l’impatience de son cœur.

Ils gagnèrent enfin le bord de la plaine, où l’on devinait à peine au loin, de place en place, les bouquets d’arbres des fermes. À travers la buée de lait qui baignait les champs, l’horizon s’illimitait, et le silence léger, le silence vivant de ce grand espace lumineux et tiède était plein de l’inexprimable espoir, de l’indéfinissable attente qui rendent si douces les nuits d’été. Très haut dans le ciel, quelques petits nuages longs et minces semblaient faits d’écailles d’argent. En demeurant quelques secondes immobile, on entendait dans cette paix nocturne un confus et continu murmure de vie, mille bruits frêles dont l’harmonie ressemblait d’abord à du silence.