Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Boule de Suif tressaillit, se retourna :

— C’est moi.

— Mademoiselle, l’officier prussien veut vous parler immédiatement.

— À moi ?

— Oui, si vous êtes bien mademoiselle Élisabeth Rousset.

Elle se troubla, réfléchit une seconde, puis déclara, carrément :

— C’est possible, mais je n’irai pas.

Un mouvement se fit autour d’elle ; chacun discutait, cherchait la cause de cet ordre. Le comte s’approcha :

— Vous avez tort, madame, car votre refus peut amener des difficultés considérables, non seulement pour vous, mais même pour tous vos compagnons. Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts. Cette démarche assurément ne peut présenter aucun danger ; c’est sans doute pour quelque formalité oubliée.

Tout le monde se joignit à lui, on la pria, on la pressa, on la sermonna, et l’on finit par la convaincre ; car tous redoutaient les complications qui pourraient résulter d’un coup de tête. Elle dit enfin :

— C’est pour vous que je le fais, bien sûr !

La comtesse lui prit la main :

— Et nous vous remercions.

Elle sortit. On l’attendit pour se mettre à table. Chacun se désolait de n’avoir pas été demandé à la place de cette fille violente et irascible, et préparait mentalement des platitudes pour le cas où on l’appellerait à son tour.