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juge au tribunal de commerce, M. Dubois ; et le père s’était calmé.

Il s’inquiétait même de ce qu’elle faisait ; demandait des renseignements sur sa maison à ses anciennes camarades qui avaient été la revoir ; et quand on lui affirmait qu’elle était dans ses meubles et qu’elle avait un tas de vases de couleur sur ses cheminées, des tableaux peints sur les murs, des pendules dorées et des tapis partout, un petit sourire content lui glissait sur les lèvres. Depuis trente ans il travaillait, lui, pour amasser cinq ou six pauvres mille francs ! La fillette n’était pas bête, après tout !

Or, voilà qu’un matin, le fils Touchard, dont le père était tonnelier au bout de la rue, vint lui demander la main de Rose, la seconde. Le cœur du vieux se mit à battre. Les Touchard étaient riches et bien posés ; il avait décidément de la chance dans ses filles.

La noce fut décidée ; et on résolut qu’on la ferait d’importance. Elle aurait lieu à Sainte-Adresse, au restaurant de la mère Jusa. Cela coûterait bon, par exemple, ma foi tant pis, une fois n’était pas coutume.

Mais un matin, comme le vieux était rentré au logis pour déjeuner, au moment où il se mettait à table avec ses deux filles, la porte s’ouvrit brusquement et Anna parut. Elle avait une toilette brillante, et des bagues, et un chapeau à plume. Elle était gentille comme un cœur avec tout ça. Elle sauta au cou du père, qui n’eut pas le temps de dire « ouf », puis elle tomba en pleurant dans les bras de ses deux sœurs, puis elle s’assit en s’essuyant les yeux et demanda une assiette pour manger la soupe