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monde. Je bus un verre de coco et je le payai vingt sous. Une voix profonde qui semblait plutôt sortir de la boîte en fer-blanc que de l’homme qui la portait, gémit : « Cela vous portera bonheur, mon cher monsieur. »

« Ce jour-là je fis la connaissance de ma femme qui me rendit toujours heureux.

« Enfin, voici comment un marchand de coco m’empêcha d’être préfet.

« Une révolution venait d’avoir lieu. Je fus pris du besoin de devenir un homme public. J’étais riche, estimé, je connaissais un ministre ; je demandai une audience en indiquant le but de ma visite. Elle me fut accordée de la façon la plus aimable.

« Au jour dit (c’était en été, il faisait une chaleur terrible), je mis un pantalon clair, des gants clairs, des bottines de drap clair aux bouts de cuir verni. Les rues étaient brûlantes. On enfonçait dans les trottoirs qui fondaient ; et de gros tonneaux d’arrosage faisaient un cloaque des chaussées. De place en place des balayeurs faisaient un tas de cette boue chaude et pour ainsi dire factice, et la poussaient dans les égouts. Je ne pensais qu’à mon audience et j’allais vite, quand je rencontrai un de ces flots vaseux ; je pris mon élan, une… deux… Un cri aigu, terrible, me perça les oreilles : « Coco, coco, coco, qui veut du coco ? » Je fis un mouvement invo