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de charognes, le vautour maigre qui plane sur son domaine, au-dessous de cet autre maître du vaste pays qu'il tue, le soleil, le dur soleil.

Quand on descend vers Boukhrari, on découvre, à perte de vue, l'interminable vallée du Chélif. C'est, dans toute sa hideur, la misère, la jaune misère de la terre. Elle apparaît loqueteuse comme un vieux pauvre arabe, cette vallée que parcourt l'ornière sale du fleuve sans eau, bu jusqu'à sa boue par le feu du ciel. Cette fois il a tout vaincu, tout dévoré, tout pulvérisé, tout calciné, ce feu qui remplace l'air, emplit l'horizon.

Quelque chose vous passe sur le front: ailleurs ce serait du vent, ici c'est du feu. Quelque chose flotte là-bas sur les crêtes pierreuses: ailleurs ce serait une brume, ici c'est du feu, ou plutôt de la chaleur visible. Si le sol n'était point déjà calciné jusqu'aux os, cette étrange buée rappellerait la petite fumée qui s'élève des chairs vives brûlées au fer rouge. Et tout cela a une couleur étrange, aveuglante et pourtant veloutée, la couleur du sable chaud auquel semble se mêler une nuance un peu violacée, tombée du ciel en fusion.