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imbéciles forment toujours l'immense majorité, il est inadmissible qu'ils puissent élire un gouvernement intelligent.

Pour être juste, j'ajoute que logiquement le suffrage universel me semble le seul principe admissible, mais qu'il est inapplicable, voici pourquoi.

Faire concourir au gouvernement toutes les forces vives d'un pays, représenter tous les intérêts, tenir compte de tous les droits, est un rêve idéal, mais peu pratique, car la seule force que vous puissiez mesurer est justement celle qui devrait être la plus négligée, la force stupide, le nombre. D'après votre méthode, le nombre inintelligent prime le génie, le savoir, toutes les connaissances acquises, la richesse, l'industrie, etc., etc. Quand vous pourrez donner à un membre de l'Institut dix mille voix contre une au chiffonnier, cent voix au grand propriétaire contre dix voix à son fermier, vous aurez équilibré à peu près les forces et obtenu une représentation nationale qui vraiment représentera toutes les puissances de la nation. Mais je vous défie bien de faire ça.

Voici mes conclusions :

Autrefois, quand on ne pouvait exercer aucune profession, on se faisait photographe ; aujourd'hui on se fait député. Un pouvoir ainsi composé sera toujours lamentablement incapable ; mais incapable de faire du mal autant qu'incapable de faire du bien. Un tyran, au contraire, s'il est bête, peut faire beaucoup de mal et, s'il se rencontre intelligent (ce qui est infiniment rare), beaucoup de bien.

Entre ces formes de gouvernement, je ne me prononce pas ; et je me déclare anarchiste, c'est-à-dire partisan du pouvoir le plus effacé, le plus insensible, le plus libéral au grand sens du mot, et révolutionnaire en même temps, c'est-à-dire l'ennemi éternel de