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qui l'étonna beaucoup. Il n'osa rien dire, par discrétion. Boivin fit semblant de ne pas voir.

Mais la voix éloignée de Mme Boivin se fit entendre :

- Viendrez-vous à la fin ? Quand on vous dit que c'est prêt !

Ils se dirigèrent vers la chauffrette, aussi tremblants que deux coupables.

Si le jardin se trouvait à l'ombre, la maison, par contre, était en plein soleil, et aucune chaleur d'étuve n'égalait celle de ses appartements.

Trois assiettes, flanquées de couverts en étain mal lavés, se collaient sur la graisse ancienne d'une table de sapin, au milieu de laquelle un vase en terre contenait des filaments de vieux bouilli réchauffés dans un liquide quelconque, où nageaient des pommes de terre tachetées. On s'assit. On mangea.

Une grande carafe pleine d'eau légèrement teintée de rouge tirait l'oeil de Patissot. Boivin, un peu confus, dit à sa femme :

- Dis donc, ma chérie, pour l'occasion, ne vas-tu pas nous donner un peu de vin pur ?

Elle le dévisagea furieusement :

- Pour que vous vous grisiez tous les deux, n'est-ce pas, et que vous restiez à crier chez moi toute la journée ? Merci de l'occasion !

Il se tut. Après le ragoût, elle apporta un autre plat de pommes de terre accommodées avec un peu de lard tout à fait rance ; quand ce nouveau mets fut achevé, toujours en silence, elle déclara.

- C'est tout. Filez maintenant.

Boivin la contemplait, stupéfait.

- Mais le pigeon ? le pigeon que tu plumais ce matin ?

Elle mit ses mains sur ses hanches.

- Vous n'en avez pas assez peut-être ? Parce que