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L’enfant grandit, très semblable à sa mère, charmante et intelligente. On les enviait dans Rouen et on disait de Mme Boutemart : « C’est une personne de grande valeur. »

La fillette, dont elle faisait l’éducation avec un soin passionné, aidée d’une institutrice, était déjà à seize ans une jeune personne qui avait l’air d’une petite femme, une brunette, aux yeux violets, de la couleur exacte des fleurs de pervenche, nuance si rare.

Et l’enfant presque adulte, à qui sa mère avait permis beaucoup de lectures déjà, développait de la même façon sa jeune âme et sa sensibilité naissante. Elle ouvrait parfois, en cachette, les autres livres, ceux qu’on ne lui permettait point, et elle savait déjà par cœur certains vers qui lui semblaient doux comme des parfums, des sons de musiques ou des souffles de vent.

Ces gens étaient heureux tout à fait ou presque tout à fait, quand, par un hiver très froid, Mme Boutemart, après une promenade trop longue dans la forêt pleine de neige, dut prendre le lit, atteinte d’une fluxion de poitrine qui l’emporta en une semaine.

Resté seul avec sa fille, le père se demanda s’il ne fallait pas la garder près de lui, car il serait bien seul, bien abandonné, dans cette campagne, au milieu de ses ouvriers et de ses machines.

Mais sa sœur, veuve sans enfant d’un ingénieur des ponts et chaussées, et riche d’une aisance suffisante, consentit à quitter Paris pendant quelques mois pour venir les passer près de lui et atténuer ainsi les premières atteintes du chagrin et de l’isolement.

C’était une femme d’esprit pondéré autant que son frère et de sens rassis, qui avait toujours tiré des événements et des choses le plus de parti possible. Tranquille sur son sort, ayant passé la quarantaine et