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trouve mon fils. Il est à l’armée de Faidherbe, et nous échangeons des lettres. Puis j’ai encore eu la veine qu’il fût reçu docteur avant la guerre, et les médecins n’ont pas grand’chose à craindre à l’armée. Mais tout ce que je dis n’empêche pas ma femme d’être dans un état affreux, car elle l’aime tant, son cher Jules.

Il fit l’éloge de son fils, dont les études médicales à Paris avaient été si brillantes que ses professeurs, après le doctorat passé, l’avaient engagé tous ensemble à continuer jusqu’à l’agrégation. Ah ! en voilà un qui ne moisirait pas en province, ce petit-là. Il serait un grand médecin, un grand médecin de la capitale.

Et la conversation traîna sur des sujets quelconques, paralysée par cette idée de l’invasion qui planait.

Après que les hommes eurent pris leur café et fumé leurs cigares, ils revinrent au salon, près de la comtesse, qui brûlait ses pieds au feu. Elle avait froid pourtant, froid partout, dans le cœur et dans le corps.

M. Boutemart parla le premier de s’en aller. Ses usines le préoccupaient et il demanda sa voiture à neuf heures et demie sous prétexte que par ce temps il ne fallait pas rentrer trop tard. Les deux autres l’imitèrent, chaussant des espèces de bottes pour gagner, à travers la neige, le bac du bord de la Seine, et la comtesse resta seule.

Elle feuilleta quelques livres sans y prendre intérêt, comprenant à peine ce qu’elle lisait. Elle choisit dans ses poètes les pièces de vers auxquelles elle revenait le plus souvent. Elles lui parurent banales, inutiles, décolorées ; et elle se rassit devant le feu. Allait-elle se coucher ? — non — pas tout de suite, car elle ne dormirait pas ; et elle les connaissait, ces interminables insomnies que mesurent, en les rendant douloureuses comme une agonie nocturne de l’esprit et du corps, les tintements réguliers du timbre de la pendule.