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Mais Boutemart, toujours convaincu que les événements qui le touchaient finiraient par bien tourner, ajouta :

— Bah ! il est prisonnier. Il reviendra après la guerre.

La comtesse balbutia :

— Prisonnier… ou mort.

Son père, que les idées tristes agaçaient, eut un frémissement d’impatience.

— Pourquoi te fais-tu des inventions pareilles ? Tu vis dans l’attente du malheur comme s’il n’y avait que cela sur la terre.

L’abbé Marvaux murmura :

— Il n’y a guère autre chose, pourtant, monsieur, quand on y regarde de bien près. Songez à la France en ce moment.

Boutemart n’y consentit pas.

— Mais non, mais non : tenez, moi, je n’ai jamais été malheureux.

Sa fille lui dit tristement :

— C’est que tu n’as désiré et cherché que la fortune. Tu l’as eue.

Il se mit à rire.

— Parbleu ! On a tout avec la fortune. Le reste est de la blague. Mais, dans le cas qui nous occupe, il est indubitable que les listes des morts ont été presque partout établies et communiquées déjà aux familles. Quant aux prisonniers, on ne peut pas les connaître.

Elle gémit :

— Il y a aussi les disparus.

Et Boutemart, avec à-propos, répliqua :

— Ce sont les revenants de demain.

Le médecin prit part à la conversation.

— Moi, j’ai assez de chance, dit-il, je sais où se