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et le médecin allaient venir, car ils devaient dîner chez elle. Mais pourraient-ils seulement sortir de leurs maisons et parvenir au château ? Son père surtout l’inquiétait. Il devait suivre dans son coupé le bord de la Seine, sur le chemin de halage, pendant plusieurs kilomètres. Le cocher était vieux et sûr, connaissant la route comme la connaissait son cheval ; mais cette nuit-là semblait prédestinée aux malheurs. Les deux autres invités, habitués de presque tous les soirs d’ailleurs, avaient à passer le fleuve en bateau, c’était pis encore. Jamais la glace n’arrêtait le courant en cet endroit où le flot de la mer, à qui rien ne résiste, montait à chaque marée ; mais d’énormes glaçons charriés dans le remous descendaient de la haute France et pouvaient chavirer la barque du passeur.

La comtesse revint vers la cheminée, prit le cordon de sonnette et tira.

Un ancien domestique parut. Elle lui dit :

— Le petit ne dort pas encore ?

— Je ne crois pas, madame la comtesse.

— Dites à Annette de me l’amener, j’ai envie de l’embrasser.

— Oui, madame la comtesse.

Le serviteur sortait, elle le rappela :

— Pierre !

— Madame la comtesse.

— Est-ce qu’il n’y a pas de danger pour M. Boutemart à venir au bord de l’eau, en voiture, par un temps comme celui-ci ?

Le vieux Normand répondit :

— Aucun, madame la comtesse. Le cocher Philippe et son cheval Barbe sont bien apaisés tous les deux, et ils savent le chemin, pour sûr.

Rassurée sur le sort de son père, elle demanda encore :