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LE FERMIER.

J’arrivai donc, un soir, dans cette maison, un soir de pluie. Je fus stupéfait de trouver l’ancien soldat de mon père avec des cheveux tout blancs, bien qu’il n’eût pas plus de quarante-cinq ou six ans.

Je le fis dîner en face de moi, à cette table où nous sommes. Il pleuvait à verse. On entendait l’eau battre le toit, les murs et les vitres, ruisseler en déluge dans la cour, et mon chien hurlait dans l’étable, comme font les nôtres, ce soir.

Tout à coup, après que la servante fut partie se coucher, l’homme murmura :

— M’sieu l’baron…

— Quoi, maître Jean ?

— J’ai d’quoi à vous dire.

— Dites, maître Jean.

— C’est qu’ça… qu’ça m’chiffonne.

— Dites toujours.

— Vous vous rappelez ben Louise, ma femme ?

— Certainement que je me la rappelle.

— Eh ben, aile m’a chargé d’eune chose pour vous.

— Quelle chose ?

— Eune… eune… comme qui dirait eune confession…

— Ah !… quoi donc ?

— C’est… c’est… j’aimerais ben pas vous l’dire tout d’même… mais i faut… i faut… et ben… c’est pas d’la poitrine qu’aile est morte… c’est… c’est… d’chagrin… v’là la chose au long, pour finir.

Dès qu’aile fut ici, alle maigrit, alle changea, qu’alle n’était pu r’connaissable, au bout d’six mois, pu r’connaissable, m’sieu l’baron. C’était tout comme mé avant d’l’épouser, seulement que c’était l’opposé, tout l’opposé.

J’fis v’nir l’médecin. Il dit qu’alle avait eune maladie