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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, PÈRE

— Ah ! les misérables cannibales, dit mon défunt père, voyez si un honnête homme peut être un moment sûr de son bien ! Non contents de m’avoir volé ma plus belle chanson que je réservais toujours pour la dernière dans les noces et les festins, voyez comme ils me l’ont étriquée ! c’est à ne plus s’y reconnaître ! Au lieu de bon vin, ce sont des chrétiens dont ils veulent se régaler, les indignes !

Et puis après, les sorciers continuèrent leur chanson infernale, en regardant mon défunt père et en le couchant en joue avec leurs grandes dents de rhinoféroce.

Ah ! viens donc, compèr’ François,
Ah ! viens donc, tendre poignet !
Dépêch’-toi, compèr’ l’andouille,
Compèr’ boudin, la citrouille ;
Du Français, du Français,
J’en f’rons un bon saloi.

— Tout ce que je pense vous dire pour te moment, mes mignons, leur cria mon défunt père, c’est que si vous en mangez jamais d’autre lard que celui que je vous porterai, vous n’aurez pas besoin de dégraisser votre soupe.

Les sorciers paraissaient, cependant, attendre quelque chose, car ils tournaient souvent la tête en arrière ; mon défunt père regarde itou. Qu’est-ce qu’il aperçoit sur le coteau ? un grand diable bâti comme les autres, mais aussi long que le clocher de Saint-Michel, que nous avons passé tout à l’heure. Au lieu de bonnet pointu, il portait un chapeau à trois cornes surmonté d’une épinette en guise de plumet. Il n’avait ben qu’un œil, le gredin qu’il était ! Mais ça en valait une douzaine : c’était sans doute le tambour-major du régiment, car il tenait d’une main une marmite deux fois aussi grosse que nos chaudrons