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CONTEURS CANADIENS-FRANÇAIS

crièrent ses trois compagnons, un seul lui portant secours tandis que les deux autres faisaient force de rames pour aborder la goélette. Je crus, en effet, l’avoir tué, et je ne cherchai qu’à me cacher dans le bois, si la chaloupe revenait à terre ; mais une demi-heure après, qui me parut un siècle, je vis la goélette mettre toutes ses voiles et disparaître. Pelchat n’en mourut pourtant pas subitement ; il languit pendant trois années, et rendit le dernier soupir en pardonnant à son meurtrier. Puisse Dieu me pardonner au jour du jugement, comme ce bon jeune homme le fit alors !

Un peu rassuré, par le départ de la goélette, sur les suites de ma brutalité (car je réfléchissais que si j’eusse tué ou blessé Pelchat mortellement, on serait venu me saisir), je m’acheminai vers ma nouvelle demeure. C’était une cabane d’environ vingt pieds carrés, sans autre lumière qu’un carreau de vitre au sud-ouest ; deux petits tambours y étaient adossés ; en sorte que cette cabane avait trois portes. Quinze lits, ou plutôt quinze grabats étaient rangés autour de la pièce principale. Je m’abstiendrai de vous donner une description du reste : ça n’a aucun rapport avec mon histoire.

J’avais bu beaucoup d’eau-de-vie pendant la journée, et je continuai à boire pour m’étourdir sur ma triste situation : en effet, j’étais seul sur une (plage éloignée de toute habitation ; seul avec ma conscience ! et, Dieu ! quelle conscience ! Je sentais le bras puissant de ce même Dieu, que j’avais bravé et blasphémé tant de fois, s’appesantir sur moi, j’avais un poids énorme sur la poitrine. Les seules créatures vivantes, compagnons de ma solitude, étaient deux énormes chiens de Terre-Neuve, à peu près