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L’Étranger

C’était le mardi gras de l’année 17**. Je revenais à Montréal, après cinq ans de séjour dans le Nord-Ouest. Il tombait une neige collante et, quoique le temps fût très calme, je songeai à camper de bonne heure ; j’avais un bois d’une lieue à passer, sans habitation ; et je connaissais trop bien le climat pour m’y engager à l’entrée de la nuit. Ce fut donc avec une vraie satisfaction que j’aperçus, à l’entrée de ce bois, une petite maison, où j’entrai demander à couvert. Il n’y avait que trois personnes dans ce logis lorsque j’y entrai : un vieillard d’une soixantaine d’années, sa femme et une jeune et jolie fille de dix-sept à dix-huit ans, qui chaussait un bas de laine bleue dans un coin de la chambre, le dos tourné à nous, bien entendu ; en un mot, elle achevait sa toilette. « Tu ferais mieux de ne pas y aller, Marguerite, » avait dit le père, comme je franchissais le seuil de la porte. Il s’arrêta tout court, en me voyant et, me présentant un siège, il me dit avec politesse : « Donnez-vous la peine de vous asseoir, monsieur, vous paraissez fatigué. Notre femme, rince un verre ; monsieur prendra un coup, ça le délassera. »