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de la production ; il nous faut soustraire la valeur du capital variable, soit 90 l. st., pour obtenir la plus-value de 90 l. st. Ces 90 l. st. expriment ici la grandeur absolue de la plus-value produite. Pour ce qui est de sa grandeur proportionnelle, c’est-à-dire du rapport suivant lequel le capital variable a gagné en valeur, elle est évidemment déterminée par le rapport de la plus-value au capital variable et s’exprime par p/v. Dans l’exemple qui précède, elle est donc 90/90 = 100 %. Cette grandeur proportionnelle est ce que nous appelons taux de la plus-value[1].

Nous avons vu que l’ouvrier, pendant une partie du temps qu’exige une opération productive donnée, ne produit que la valeur de sa force de travail, c’est-à-dire la valeur des subsistances nécessaires à son entretien. Le milieu dans lequel il produit étant organisé par la division spontanée du travail social, il produit sa subsistance, non pas directement, mais sous la forme d’une marchandise particulière, sous la forme de filés, par exemple, dont la valeur égale celle de ses moyens de subsistance, ou de l’argent avec lequel il les achète. La partie de sa journée de travail qu’il y emploie est plus ou moins grande, suivant la valeur moyenne de sa subsistance journalière ou le temps de travail moyen exigé chaque jour pour la produire. Lors même qu’il ne travaillerait pas pour le capitaliste, mais seulement pour lui-même, il devrait, toutes circonstances restant égales, travailler en moyenne, après comme avant, la même partie aliquote du jour pour gagner sa vie. Mais comme dans la partie du jour où il produit la valeur quotidienne de sa force de travail, soit trois shillings, il ne produit que l’équivalent d’une valeur déjà payée par le capitaliste, et ne fait ainsi que compenser une valeur par une autre, cette production de valeur n’est en fait qu’une simple reproduction. Je nomme donc temps de travail nécessaire, la partie de la journée où cette reproduction s’accomplit, et travail nécessaire le travail dépensé pendant ce temps[2] ; nécessaire pour le travailleur, parce qu’il est indépendant de la forme sociale de son travail ; nécessaire pour le capital et le monde capitaliste, parce que ce monde a pour base l’existence du travailleur.

La période d’activité, qui dépasse les bornes du travail nécessaire, coûte, il est vrai, du travail à l’ouvrier, une dépense de force, mais ne forme aucune valeur pour lui. Elle forme une plus-value qui a pour le capitaliste tous les charmes d’une création ex nihilo. Je nomme cette partie de la journée de travail, temps extra et le travail dépensé en elle surtravail. S’il est d’une importance décisive pour l’entendement de la valeur en général de ne voir en elle qu’une simple coagulation de temps de travail, que du travail réalisé, il est d’une égale importance pour l’entendement de la plus-value de la comprendre comme une simple coagulation de temps de travail extra, comme du surtravail réalisé. Les différentes formes économiques revêtues par la société, l’esclavage, par exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont ce surtravail est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l’ouvrier[3].

De ce fait, que la valeur du capital variable égale la valeur de la force de travail qu’il achète ; que la valeur de cette force de travail détermine la partie nécessaire de la journée de travail et que la plus-value de son côté est déterminée par la partie extra de cette même journée, il suit que : la plus-value est au capital variable ce qu’est le surtravail au travail nécessaire ou le taux de la plus-value p/v = surtravail/travail nécessaire. Les deux proportions présentent le même rapport sous une forme différente ; une fois sous forme de travail réalisé, une autre fois, sous forme de travail en mouvement.

Le taux de la plus-value est donc l’expression exacte du degré d’exploitation de la force de travail par le capital ou du travailleur par le capitaliste[4].

D’après notre supposition, la valeur du produit = 410 l. st. (c) + 90 l. st. (v) + 90 l. st. (p), le capital avancé = 500 livres sterling. De ce que la plus-value = 90 livres sterling et le capital avancé = 500 livres sterling, on pourrait conclure d’après le mode ordinaire de calcul, que le taux de la plus-value (que l’on confond avec le taux du profit) = 18 %, chiffre dont l’infériorité relative remplirait d’émotion le sieur Carey et les autres harmonistes du même calibre. Mais en réalité le taux de la plus-value égale non pas p/C ou p/(c + v) mais p/v c’est-à-dire, il est non pas 90/500 mais 90/90 = 100 %, plus de cinq fois le degré d’exploi-

  1. On dit de même, taux du profit, taux de l’intérêt, etc., (en anglais, rate of profit, etc.). On verra dans le livre III, que le taux du profit est facile à déterminer dès que l’on connaît les lois de la plus-value. Par la voie opposée on ne trouve ni l’un ni l’autre.
  2. Nous avons employé jusqu’ici le mot « temps de travail nécessaire » pour désigner le temps de travail socialement nécessaire à la production d’une marchandise quelconque. Désormais nous l’emploierons aussi pour désigner le temps de travail nécessaire à la production de la marchandise spéciale force de travail. L’usage des mêmes termes techniques dans un sens différent a certes des inconvénients ; mais cela ne peut être évité dans aucune science. Que l’on compare, par exemple, les parties supérieures et élémentaires des mathématiques.
  3. Maître Wilhelm Thucydides Roscher est vraiment impayable ! Il découvre que si la formation d’une plus-value ou d’un produit net et l’accumulation qui en résulte sont dus aujourd’hui à l’épargne et à l’abstinence du capitaliste, ce qui l’autorise à « exiger des intérêts », « dans un état inférieur de civilisation au contraire, ce sont les faibles qui sont contraints par les forts à économiser et à s’abstenir. » (L. c., p. 78.) À s’abstenir de travailler ? Ou à économiser un excédent de produits qui n’existe pas ? Ce qui entraîne les Roscher et consorts à traiter comme raisons d’être de la plus-value, les raisons plus ou moins plausibles par lesquelles le capitaliste cherche à justifier son appropriation de toute plus-value créée, c’est évidemment, outre une ignorance candide, l’appréhension que leur cause toute analyse consciencieuse et leur crainte d’arriver malgré eux à un résultat qui ne satisferait pas la police.
  4. Le taux de la plus-value n’exprime pas la grandeur absolue de l’exploitation bien qu’il en exprime exactement le degré. Supposons par exemple que le travail nécessaire = 5 heures et le surtravail = 5 heures également, le degré d’exploitation est alors de 100% et la grandeur absolue de l’exploitation est de cinq heures. Si au contraire le travail nécessaire = 6 heures et que le surtravail = 6 heures, le degré d’exploitation reste le même, c’est-à-dire de 100% ; mais la grandeur de l’exploitation s’est accrue de 20% de 5 à 6 heures.