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atomistique — expression matérielle de la conscience de soi — qui unifie le sage et le dieu. Entre sage et dieu, il n’y a plus que la différence de degré qui fait du dieu le Sage radical, celui qui dévie de toute existence déterminée. Mais cette radicalité n’est pas une menace pour l’ataraxie de l’homme, elle n’en est que le modèle. La « religion » d’Épicure n’est absolument pas un rapport de conflit ou de crainte à un dieu qui serait seul à posséder innocence, sérénité et pouvoir. Les dieux d’Épicure ne comportent pas l’ombre d’une négation, si ce n’est celle de la partie négative de l’homme, sa crainte et sa mauvaise conscience[1].

Tel est l’essentiel de la critique de la religion contenue dans les Travaux préparatoires. Elle laisse apparaître certaines limites : le mécanisme et la cause de la projection sont laissés de côté. L’inversion proprement dite qu’opère la religion et le contenu précis de ce qui est alors perdu par l’homme ne sont pas analysés avec rigueur. L’accent est plutôt mis sur le simple détour et sur l’identité fondamentale d’objet et d’origine de la religion et de la philosophie. Marx se ralliera sans hésiter à L’Essence du christianisme de Feuerbach, ouvrage qui lui apparaîtra comme la confirmation et le développement rigoureux de ses propres thèses. Mais Feuerbach se contente lui aussi de résoudre religion et philosophie dans le concept d’homme, sans s’interroger plus avant sur un tel concept, sans donc demander le pourquoi de la projection religieuse. C’est pourquoi Marx dépassera également l’analyse feuerbachienne en écrivant,

  1. . Cf. Nietzsche : Généalogie de la morale, II, 24. Edition « Mercure de France ». « Les Grecs se sont longtemps servi de leurs dieux pour se prémunir contre toute velléité de « mauvaise conscience », pour avoir le droit de jouir en paix de leur liberté d’âme : donc dans un sens opposé à la conception que s’était faite de son Dieu le christianisme. »
    Cette analyse renvoie aussi au monde grec conçu comme moment heureux de la pure substance. Épicure ne serait-il pas un Grec confronté à la naissance de la subjectivité « chrétienne », et s’en défendant par les dieux plastiques de l’art grec ? Il ferait ainsi valoir le calme théorique grec contre la complexité affective de la conscience chrétienne, conçue comme conscience religieuse par excellence…