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XXIV

tisane, beauté qui descendait des vieux Brutus, ô honte ! — Voila, dites-vous, bien des amours, Martial ! Mais Ovide, Horace, Tibulle, Catulle, ont fait ainsi. Eh ! qui ne sait les noms charmants de leurs amours ? L’amour est la vie et la gloire du poête ! Quand j’étais jeune, je voulais que ma maîtresse eût vingt ans, de belles dents, un frais sourire, de longs cheveux ; qu’elle fût parée, éclatante. Je renvoyai une fois à Flaccus sa chanteuse Livie qu’il m’avait adressée, avec ce petit billet : « Je ne veux pas, Flaccus, d’une maîtresse efflanquée, à « qui mes bagues pourraient servir de bracelets, qui me poignarde de « ses genoux, et dont l’échine est dentelée comme une scie. Je ne veux « pas davantage d’une maîtresse qui pèserait un millier : j’aime la chair, « non la graisse. »

Maintenant, que j’ai parlé de mes amitiés et de mes amours, me sera-t-il permis de parler aussi de mes ouvrages ? Je sais que j’ai bien à les défendre : ils ont été attaqués en même temps par de très-honnêtes gens et par les plus vils des hommes ; les Zoïles de mon temps ne m’ont pas laissé de relâche, tant ils avaient le désir de voir leurs noms fangeux écrits dans mes vers. J’ai refusé de répondre aux Zoïles, je dois répondre aux honnêtes gens. Les reproches que me font ceux-là sont de plusieurs sortes, mais ils ne sont pas sans réplique. Les uns trouvent mes vers trop libres : On ne peut pas, disent-ils, les lire dans une école. Il est vrai que mes vers ne sont pas faits pour les écoles ; ce sont des vers enjoués, qui, pour plaire, ont besoin d’une pointe tant soit peu grivoise. D’autres se récrient que souvent mon vers mord jusqu’au sang, et fait une blessure cruelle : mais qui dit épigramme ne dit pas une fade louange. L’épigramme est déjà bien assez difficile à écrire, sans vouloir lui ôter sa méchanceté piquante. Dans mon esprit, je mets le faiseur d’épigrammes bien avant le faiseur de tragédies : celui qui écrit une tragédie a toute liberté d’expliquer son œuvre à l’aide d’un prologue ou d’un récit ; il faut que l’épigramme s’explique en peu de mots, et souvent en un seul ; la tragédie aime l’enflure et les manteaux extravagants ; l’épigramme est simple et nue ; la foule admire les illustres tragédies, mais elle sait par cœur les bonnes épigrammes. Quelques-uns me reprochent d’être badin et rieur, et de ne jamais écrire des choses sérieuses : mais, si je préfère aux choses sérieuses celles qui amusent, c’est ta faute, ami lecteur, toi qui lis et qui chantes mes vers dans toutes les rues de la ville. Ah ! tu ne sais pas ce qu’elle me coûte cette popularité poétique ! car si j’avais voulu me poser comme le défenseur de