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le causse méjean. — les avens

en est la concavité, les promontoires de ce dernier commandent naturellement une bien plus grande partie du cours de la rivière.

Après Carnac, la route pénètre dans la vraie désolation : au Mas-de-Val, les arbres disparaissent ; on n’en retrouve plus qu’un maigre bouquet, abritant la Cavaladette, métairie isolée, à main droite ; derrière, au sud-est, s’étend, jusqu’au col de Perjuret, la partie la plus élevée et la plus solitaire du causse Méjean, houleuse surface de mamelons caillouteux sans une tache verte. Le paysage devient sévère à force de laideur, grandiose à force de sévérité : dans les parties basses de la route, entre les cirques fermés de couronnes nues qui interceptent tout l’horizon, sans un homme ni une maison en vue, on éprouve une sorte d’oppression, de peur presque, et l’on hâte instinctivement l’allure.

Ou bien l’on gravit une couronne élevée, et le bien-être que cause alors l’élargissement de l’horizon fait trouver belle la vue du mont Lozère au nord-est et de l’Aigoual au sud. Il n’a rien d’admirable pourtant, ce terne panorama : l’étendue seule est son mérite : mais c’est assez pour le moment, puisque les ravinements bleuâtres des Cévennes nous rappellent qu’à leur base, et pas bien loin, se retrouvent les ruisseaux, les arbres, nos semblables, la vie enfin, dont l’absence sur le silencieux plateau produit une si funèbre impression.

Les monts du Bougès restent cachés par la pente du causse. La route de voitures continue à traverser des cuvettes creusées dans le sable du causse, à contourner des mamelons, à franchir les rides moins élevées. Çà et là se montrent quelques misérables hameaux, dont les chaumières, roussies par le soleil, semblent blanches sur ce sol jaunâtre et brûlé, où il n’y a pas une source, pas une goutte d’eau. Ce manque absolu d’eau devient à la longue une souffrance pour le voyageur.

On redescend : tout disparaît, et les longues lignes ondulées du causse se détachent de nouveau sur le bleu du ciel.

De mamelon en cuvette et de cuvette en mamelon, on arrive tout à coup sur la lèvre du cañon (1,050 m.). Sous nos pieds, à 1,200 mètres de distance à vol d’oiseau et à 500 mètres de profondeur, s’ouvre béante la vallée du Tarnon, large, plantée de bouquets d’arbres, de vignes, bordée de prairies, aux nombreux villages épars sur les pentes du Bougès, avec la ville ensoleillée de Florac, qui étale ses maisons au bord de la rivière, tandis que, courant du nord au sud, se profile la haute et sévère muraille du causse. C’est un émerveillement, une joie des yeux, que ce tableau.

La route semble tomber dans le vide et rapidement atteint Florac.

De Meyrueis, il faut prendre l’ancienne route de Sainte-Enimie par le portique de la Bouillère pour aller visiter le formidable avenc de Hures… Dans ce village perdu par excellence (26 hab. aggl.), le premier étage des maisons, aux murs très épais, est voûté de façon à supporter le poids des neiges et l’effort des tempêtes.

L’avenc, situé à quelques minutes à l’est, passait pour un des plus considérables que l’on connut. Tout à coup, dans une ride du sol, s’ouvre une caverne large de 4 mètre à peine : on peut s’y avancer de 10 mètres jusqu’au bord d’un puits qui perce le causse.

« Une pierre lancée dans le gouffre produit un bruit effroyable, qui peu à peu s’éloigne, sans que l’on puisse distinguer le moment d’arrêt. » (A. Lequeutre.)

Les paysans croyaient que cet avenc communiquait avec la source de la Cénarète, à Saint-Chély. Légendes que tout cela ! Nous sommes descendus dans l’abîme de Hures le 25 juin 1889 : au bout du couloir de 10 mètres il y a un pre-