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le causse de sauveterre

prement dites, étaient couverts de forêts. La guerre de Cent ans contre les Anglais, celles de religion au xvie siècle, commencèrent la ruine des bois, achevée comme nous allons le voir. Il y en avait trop, et il n’y en a plus que des lambeaux[1] !

La Lozère est aujourd’hui un des départements les moins feuillus de France. En outre, le déboisement a amené la dépopulation ; mais, sur les plateaux des causses tout au moins, il n’est pas l’œuvre des armées de Louis XIV, qui ont dénudé surtout les Cévennes des Gardons : la vente des forêts seigneuriales (après 1793) aux paysans, qui défrichèrent sans mesure, puis les troupeaux menés en pâture, sont les deux principales causes du mal. (V. p, 84.)

La vallée du Lot disparaît peu à peu au nord, tandis que les murailles du causse semblent grandir à mesure que l’on s’élève en lacets le long d’un grand ravin.

Arrivé sur le plateau, on laisse à droite la route de Sainte-Enimie, puis on avance en plein soleil et en plein désert. Pas un arbre, pas un brin d’herbe ; quand les avoines sont coupées, la terre rougeâtre ou couverte de pierres grises semble calcinée ; çà et là se montrent quelques couronnes, ainsi que les caussenards appellent les mamelons qui s’élèvent au-dessus du niveau du plateau ; la route, indiquée par des poteaux, monte en pente presque insensible. L’altitude moyenne de cette partie du causse de Sauveterre atteint et dépasse l,000 mètres, et de tous côtés la vue est bornée par les rides pierreuses qui tranchent vivement sur le bleu du ciel. L’impression ressentie dans ces solitudes est à la fois grande et sauvage.

Pendant 10 kilomètres, il n’y a rien à noter que la rencontre des deux maisons de refuge de Bon-Secours (996 m., la Baraque) et de l’Estrade, si utiles quand les neiges de l’hiver s’amoncellent en plusieurs pieds d’épaisseur. Ce dernier nom nous rappelle que nous approchons d’Ispagnac : bientôt, en effet, le plateau se déprime ; au grand tournant de Paros s’ouvre le haut du ravin de Molines et commence la descente de l’Estrade (p. 23) : c’est un des plus beaux paysages que l’on puisse voir. La route s’abaisse de 500 mètres en 6 kilomètres de lacets et tombe enfin dans celle de Florac au pont de Molines, au pied de Rocheblave, à la porte du cañon (p. 27).

De Mende à Sainte-Énimie (chemin de grande communication no 39), le parcours est semblable d’aspect et commun d’ailleurs jusque sur le causse de Sauveterre. Un kilomètre après avoir quitté la route d’Ispagnac, on tourne à gauche droit vers le sud, en laissant à droite (974 m.) celle, toute bordée de dolmens, qui redescend vers le Lot à Chanac (chemin de grande communication no 31, de Marvejols à Ispagnac par Chanac). Tout près de ce carrefour subsiste le joli manoir de Choizal ou Chazal, construit en 1655 et ayant conservé ses tours à mâchicoulis.

Le village de Sauveterre (130 hab.), précédé d’une mare verdâtre servant d’abreuvoir aux bestiaux, dresse sur une petite crête ses maisons sans fenêtres, brûlées par le soleil, hâlées par le vent ; cette crête est une injection de basalte qui a pu se frayer à grand’peine un passage à travers 500 mètres de calcaire jurassique. Dans le voisinage on a reconnu un dolmen et un cromlech. Tout à coup se lèvent au sud les escarpements supérieurs du causse Méjean, dominé

  1. De 250,000 hectares, la superficie des forêts de la Lozère est tombée 30,000.