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les cévennes

les grands coudes sont rectangulaires (Florac, Ispagnac, Montbrun, Sainte-Enimie, pas de Soucy, Peyreleau), si bien que M. de Malafosse avait supposé l’existence d’une unique fissure ou craquelure agrandie par les eaux et coupant tout le terrain jurassique[1].

Nous n’allons pas jusque-là ; les calcaires marneux ont certainement été érodés.

En résumé, dans la région des Causses les eaux ont été assurément l’ouvrier actif du creusement des cañons ; mais si elles en ont exécuté le travail matériel, les cassures du terrain leur en avaient d’avance tracé le plan.

Nous ne pouvons mieux finir qu’en citant M. de Lapparent :

« Ce qui rend possible la formation de ces gorges, dans les terrains composés de roches dures, c’est l’état plus ou moins fissuré de leur masse. Il n’est aucune roche, à la surface du globe, qui ne soit découpée par divers systèmes de crevasses et de joints ; chacune de ces fentes est une ligne de moindre résistance, dont profitent les eaux torrentielles, et ainsi, par suite de la même loi qui oblige les torrents à diminuer peu à peu, par érosion, la pente de leur canal d’écoulement, les rivières torrentielles abaissent leur lit, non par creusement direct d’une rigole dans la masse des roches dures, mais par l’affouillement et l’écoulement progressif des quartiers fissurés qui affleurent dans les thalwegs.

« Mais il est peu de roches où la régularité des fentes et des plans de division soit plus grande que dans les calcaires compacts ; et comme d’ailleurs ces derniers ne sont pas susceptibles de donner naissance à des talus d’éboulement offrant quelque résistance ; comme, de plus, en raison de leur perméabilité, ils sollicitent, en quelque sorte, les eaux d’infiltration à descendre, on peut dire qu’ils sont prédestinés à la formation des gorges à parois verticales, comme les cañons américains. Les vallées du Jura, celle de la Meuse aux environs de Dinant, celle de la Vézère et les profonds ravinements qui entament le plateau des Causses en offrent d’excellents exemples.

« Ce n’est pas le travail de la goutte d’eau creusant la pierre ; c’est celui d’une chute torrentielle débitant, à la faveur de sa puissance vive, des roches que la gelée, la chaleur, et aussi les agents internes, avaient préparées à cette action, en y faisant naître de nombreuses lignes de rupture.

« Ajoutons que les rivières qui circulent aujourd’hui au fond des cañons du Colorado, où l’œuvre de l’érosion s’est accomplie dans des proportions si gigantesques, ne sont qu’une image très affaiblie des courants par lesquels ces gorges étaient remplies à l’époque quaternaire. En voyant que, de nos jours, ces rivières ont encore la force d’approfondir leur canal, on est trop facilement tenté de croire que le travail a marché de tout temps dans les mêmes proportions, et qu’une longue suite de siècles a dû suffire pour amener les cañons à leur profondeur actuelle. Mais, là comme ailleurs, les preuves abondent d’un changement radical survenu dans le climat de la contrée ; et quand on réfléchit à ce que devait être la puissance des eaux courantes à l’époque où, grâce à l’excès des précipitations atmosphériques, le Grand Lac Salé remplissait toute la plaine dont il n’occupe plus que le fond, on n’a pas de peine à comprendre que l’œuvre principale du creusement ait pu s’effectuer dans des conditions de rapidité beaucoup plus grandes » (p. 213 et suiv.).

  1. V. Fabre et de Malafosse, Bull. de la Soc. d’histoire naturelle de Toulouse, 23 mai 1877.