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le cañon du tarn. – d’ispagnac à sainte-énimie

« Du pont ogival d’Ispagnac au pont du Rozier, le cañon du Tarn a 53 kilomètres. Ce serait bien la caverne la plus grandiose d’Europe, si quelque voûte, franchissant la fêlure, allait d’une oolithe à l’autre, de la dolomie de droite à la dolomie de gauche, et faisait des deux causses une seule et même neige en hiver.

« Mais, la voûte manquant, c’est, sous le soleil, un lumineux paysage.

« On n’y frissonne pas aux vents aigus du causse. On y vit loin du nord, éternellement abrité de lui, en serre chaude, avec le noyer, l’amandier, le figuier, le châtaignier, la vigne. Les rochers de Sauveterre tenant toujours debout, si ceux de Méjean chaviraient et que la mer montât jusque-là, Ispagnac, Prades, Sainte-Énimie, la Malène, seraient des villes tièdes au pied de la roche ardente.

« Cette chaleur, cette lumière, la joyeuse diversicolorité des roches, le Tarn si beau, les chastes fontaines, ainsi sourit cette gorge qui, de granit ou de schiste, serait lugubre, effroyable. Elle est gaie même dans les ruines titaniques de ses dolomies, murs, tours et clochers de deux cités surhumaines, comme si les causses dont elles sont le rebord étaient deux Babylones près de crouler de 500 à 600 mètres de haut… »

De semblables descriptions se doivent citer in extenso ; quand, en pareille occurrence, il est impossible de mieux dire, rien ne sert de le tenter ; la copie textuelle s’impose. Déclarons donc, une fois pour toutes, qu’avec la gracieuse autorisation de tous ceux qui ont écrit sur les Causses, nous userons largement de ce mode de rédaction.

À Ispagnac le voyageur pressé accourt ordinairement de Mende aussitôt débarqué du train, et par le travers du causse de Sauveterre. Son cheminement sur ce plateau relève d’un chapitre prochain. Disons seulement que la descente en lacets sur Ispagnac est de toute beauté ; à chaque tournant le tableau se modifie : tantôt se profilent en l’air les murailles des deux causses, tantôt s’ouvre en bas le bassin d’Ispagnac, où la ville paraît blottie au pied du magnifique rocher rouge, crénelé comme une forteresse, de Chaumette, qui domine le Tarn de 546 mètres. En face, dans une forêt de noyers, se cache Quézac, entre la rivière et les falaises du Méjean.

D’autre part, l’arrivée par la vallée même, par la route de Florac, n’est pas moins grandiose : l’intercalation du promontoire de Chaumette entre deux éperons de la serre de Pailhos oblige le Tarn à décrire trois coudes successifs. Au trot rapide de la voiture, les trois caps deviennent des coulisses mobiles dont le dernier et brusque écartement ouvre à pleins battants le grandiose portail du cañon. Un monde nouveau semble surgir au delà du bassin d’Ispagnac ! Monde étrange est, en effet, la gorge du Tarn, longue suite de tableaux éblouissants de couleurs, et spécialisés par les capricieuses dégradations des calcaires.

On ne sait vraiment laquelle de ces deux routes il convient de préférer à l’autre ; par en haut ou par en bas, l’accès d’Ispagnac est également saisissant.

Protégé contre les vents du nord, le vallon d’Ispagnac a des cultures méridionales ; la chaleur solaire, réfléchie par les chauves parois des falaises, le transforme en une vraie serre chaude ; l’horticulture y est prospère : c’est la vallée de Tempé du Gévaudan. Au fond, dans les dépôts d’alluvions, s’étendent vergers et jardins ; au-dessus, les talus des marnes portent les terrasses des vignobles ; plus haut viennent les bois, puis, au sommet, la nudité des escarpements, le tout régulièrement étagé.

Pas même chef-lieu de canton, Ispagnac (r. d. du Tarn, 530 m. d’alt.) est cepen-