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MÉMOIRES DE MARMONTEL

Pour elle-même, rien de plus sobre que cette sage ménagère ; mais son bonheur étoit de voir régner l’abondance dans la maison. Un régal qu’elle nous donnoit avec la plus sensible joie étoit le réveillon de la nuit de Noël. Comme il étoit tous-les ans le même, on s’y attendoit, mais on se gardoit bien de paroître s’y être attendu : car tous les ans elle se flattoit que la surprise en seroit nouvelle, et c’étoit un plaisir qu’on avoit soin de lui laisser. Pendant qu’on étoit à la messe, la soupe aux choux verts, le boudin, la saucisse, l’andouille, le morceau de petit-salé le plus vermeil, les gâteaux, les beignets de pommes au saindoux, tout étoit préparé mystérieusement par elle et une de ses sœurs ; et moi, seul confident de tout cet appareil, je n’en disois mot à personne. Après la messe on arrivoit ; on trouvoit ce beau déjeuner sur la table ; on se récrioit sur la magnificence de la bonne grand’mère, et cette acclamation de surprise et de joie étoit pour elle un plein succès. Le jour des Rois, la fève étoit chez nous encore un sujet de réjouissance ; et, quand venoit la nouvelle année, c’étoit dans toute la famille un enchaînement d’embrassades et un concert de vœux si tendres qu’il eût été, je crois, impossible d’en être le témoin sans en être ému. Figurez-vous un père de famille au milieu d’une foule de femmes et d’enfans qui, tous levant les yeux et les